Chapitre 8

261 44 29
                                    

De retour au CFA, j'eus toutes les peines du monde à ne pas lorgner dans la cour, là où je savais qu'elle se trouverait. Deux semaines n'avaient pas été suffisantes, à mon grand désarroi, et j'avais sombré dans une étrange mélancolie. Tantôt m'insultant, tantôt essayant de me convaincre que ce n'était pas si grave, j'avais passé les derniers jours de vacances à faire des listes pour et contre. Aucune ne l'emportait sur l'autre, alors j'étais réellement dans un état second, ce matin.

Je passai par la salle des profs, récupérant mes habitudes, mes repères, et j'eus le sentiment de me retrouver, au milieu de mes collègues. Un semblant de normalité, au milieu du maelstrom d'émotions qui me secouaient. Je discutai agréablement avec eux, profitant de ce moment de répit avant de me plonger dans les cours, dans le regard azur de mon apprentie préférée.

À la sonnerie, je saluai tout le monde, tâchant de conserver leur énergie, leur positivisme jusqu'à ma salle de classe. Celle-ci était ouverte et deux derniers apprentis se jetèrent dedans en me voyant dans le couloir. Je stoppai quelques mètres avant et soufflai. Mon masque de sérénité fixé à mon visage, je me glissai dans mon rôle de prof souriant et bienveillant, et pénétrai d'un pas sûr dans ma classe, saluant tout le monde à la volée.

Je posai ma mallette sur mon bureau et mon regard tomba aussitôt sur Eva. J'esquissai un sourire amusé quand je remarquai sa tenue. Nous étions habillés pareil. Pull noir col roulé avec un pantalon beige. Si mon pull était plus près du corps que le sien, je trouvais cette similarité très cocasse et la voir rougir en me détaillant renforça mon amusement. Je me repris en levant les yeux vers mes élèves et entamai mon cours sans tarder, annonçant les prochains sujets à travailler.

Les deux heures s'écoulèrent aussi normalement que possible et j'en étais assez stupéfait. Parvenir à faire abstraction d'Eva, de mon émoi d'être à nouveau dans la même pièce qu'elle, avait été étonnement facile. Comme si mon cerveau était à présent capable de se scinder en deux à volonté. Tandis que les gamins partaient, me souhaitant un bon appétit, je terminai de ranger les feutres du tableau blanc et j'eus un soupir soulagé. J'étais encore capable de faire mon boulot et ça m'enlevait un sacré poids de la poitrine.

Je levai les yeux vers la salle vide et constatai qu'il ne restait plus qu'Eva qui rangeait gauchement ses affaires. Je m'approchai d'elle et elle leva la tête en m'entendant faire. Je lui souris, incapable de résister à l'envie de la charrier un peu :

— Tu as lu dans mes pensées ce matin ? fis-je en la désignant du menton.

Elle sembla inquiète et je perdis mon sourire quand elle fit une moue étrange. Quand je compris qu'elle ne savait pas quoi répondre, je me reprochai ma maladresse. Être habillés pareils devait l'avoir un peu trop troublée, qu'avais-je donc à revenir dessus ?

— Alors, où en es-tu ? l'interrogeai-je doucement.

Elle baissa les yeux vers son sac et en tripota la fermeture Éclair, visiblement mal à l'aise.

— Convocation chez le juge d'instruction dans deux mois. Un patron semble s'intéresser à mon cas, Masson, je crois. Ça devrait être rapide.

Elle avait donc porté plainte ! Je retins un soupir de satisfaction, et préférai ne pas rebondir sur cette information, me concentrant sur la deuxième :

— Bien, c'est un bon patron.

Elle avait suivi ma recommandation et j'en étais très satisfait. Après tout, le fils de celui qui avait formé Pierrick ne pouvait que l'aider à s'élever, elle aussi ! Elle serait entre de bonnes mains, et c'était rassurant au possible. Pourtant, elle avait l'air encore abattu et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. Elle jeta son sac sur son épaule, visiblement prête à partir, et je ne trouvais rien à ajouter. Elle releva ses yeux vers les miens et j'y lu une grande lassitude et je me lançai :

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant