Chapitre 81

100 27 10
                                    

Après ce passage désastreux chez Masson, j'avais rempli un compte-rendu élogieux, sans me prendre la tête. Puis, je m'enfermai encore plus profondément dans mon mutisme et ma mélancolie. Je passai le week-end à éviter tout le monde, ignorant les appels de mes proches, leur demandant de me rappeler plus tard, prétextant être trop pris pour l'instant. Je me rappelai que je devais bientôt annoncer mon départ pour Paris à ma famille, mais je n'en trouvais pas le courage. Je ne me penchais même plus sur les appartements à louer, ou acheter, je ne m'occupais plus de rien.

Le mode automatique avait cet avantage, j'étais détaché de tout. Le lundi matin, sans nouvelles d'Eva, je n'eus pas de difficultés majeures à affronter ma matinée sans elle. Son groupe de retours, ainsi que ses amis, je les accueillis avec un sourire le plus chaleureux possible. Mon cœur n'y était pas, et voir le trio de garçons me rappelait amèrement son absence à mes côtés. Aussitôt rentrés dans la classe, Andy se dirigea vers moi, l'air agacé. Avant même qu'il ouvre la bouche, je savais ce qu'il allait m'annoncer.

— Bonjour, chef, lâcha-t-il d'une voix traînante. Eva m'a demandé de vous dire qu'elle ne serait pas là, cette semaine.

Pas de surprise pour moi, j'avais vu l'état de sa main.

— Ah oui ? hasardai-je, donnant le change.

— Elle s'est coupé la main et est en arrêt, continua-t-il, ses yeux cherchant à me percer.

— Oh. J'espère qu'elle s'en remettra, commentai-je seulement. Merci, Andy, tu peux aller t'asseoir.

En entamant le cours, je le vis lorgner sur ma barbe de quelques jours et haussa les sourcils. Il devait certainement se demander pourquoi Eva ne m'avait pas informé elle-même de son arrêt. Étant le seul de la bande à savoir que nous étions ensemble, il avait dû trouver ça étrange de devoir passer par quelqu'un d'autre. Je l'ignorai, lui et son regard perçant, et enchaînai sur mon cours, récupérant l'attention de tout le monde.

La matinée se déroula paisiblement, même si c'était beaucoup trop calme à mon goût. Il manquait clairement quelqu'un d'important dans cette classe et je tâchais de ne pas trop me morfondre, me répétant que, finalement, c'était une bonne chose qu'elle ne soit pas là. Je n'avais pas à éviter son regard. Il aurait été compliqué de faire la part des choses, avec elle présente.

La semaine se déroula dans la même ambiance morose. Je n'aimais pas quand elle n'était pas là, et mes leçons s'en ressentaient. Je fis tout de même l'effort d'aider ceux qui peinaient le plus en pratique, mais j'étais bien plus cynique, moins joueur. Andy me chercha plus que d'ordinaire. Je lui lançai plusieurs regards d'avertissement et il finit par se lasser. Eva n'avait visiblement pas dit au jeune homme que nous étions en froid, sinon, il aurait été plus véhément. Il ne manquait plus que lui pour me faire des reproches !

Jean-Philippe me recontacta une fois le jeudi soir, me demandant s'il pouvait passer pour parler d'Eva. Je refusai, prétextant que tant que la situation avec elle n'avait pas évolué, ce n'était pas nécessaire. Il accepta sans rechigner et j'en étais surpris. Son comportement avait changé. Depuis quand était-il aussi conciliant et... bienveillant ? Était-ce ce que j'avais dit, quand il était passé ? La façon dont je l'avais dit ? Je ne comprenais rien, mais j'avais le sentiment qu'il avait soudain pitié de moi. Je n'étais pas sûr que ça me convienne non plus. Qu'il débarque sans prévenir avait été bénéfique pour une chose, je n'avais plus touché à l'alcool.

Vendredi soir, pourtant, j'avais plus que jamais envie d'un verre. Elle me manquait beaucoup trop. Plus le temps passait, plus j'avais envie de la voir. Je regrettai tant d'avoir tout gâché ! Je restai incapable de savoir comment agir. Je n'arrivais plus à concevoir ma vie sans elle, mais j'avais si peur ! Et si elle ne m'aimait plus comme avant ? Si elle m'avait déjà oublié, qu'elle s'était rendu compte qu'elle n'avait pas besoin de moi ? Et si jamais je parvenais à recoller les morceaux, mais qu'elle me quittait plus tard, comme Nora ?

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant