Chapitre 80

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En rallumant mon téléphone le lendemain matin, la tête en vrac, je ne fus pas surpris de voir de nouveaux messages tomber. Pierrick insistait pour que je l'appelle, et Sophie me demandait encore quand serait publié l'article pour lequel j'avais été interviewé. En revanche, le message qui me fit ouvrir grand les yeux fut celui de Jean-Philippe.

✉ Hadès — [Tes clés de voiture sont dans ta boite aux lettres. Reprends-toi en main.]

Je n'étais pas frais, mais clairement, ce n'était pas une hallucination. J'avais abusé du whisky, après son départ, et j'avais le crâne dans un étau, mais pas assez pour imaginer ça. Jean-Philippe aurait été prévenant envers moi ? Lui avais-je à ce point fait pitié pour qu'il prenne soin de moi ainsi, m'empêchant de prendre la voiture en étant alcoolisé ? Je n'en revenais pas.

En me remémorant notre discussion animée, je me renfrognai. Buté, je refusais de me pencher sur ce qu'il m'avait dit. J'étais encore trop en colère contre moi-même et le sentiment de ne rien pouvoir y faire me rendait lamentable. J'évitais de me rappeler que c'était à moi de reprendre contact avec Eva, de me répandre en excuses, mais le voulais-je vraiment ? N'était-ce pas le bon moment pour la laisser vivre sa vie, sans contraintes ?

Je devais me rendre à l'évidence, elle était probablement mieux sans moi. C'est avec cette conviction que je rejoignis le CFA pour me retrouver nez à nez avec Justin dans la salle des profs. Il m'accueillit avec un air préoccupé.

— Salut, tu tombes bien ! Tu as deux minutes ?

— Deux ? grommelai-je, peu amène.

Il esquissa une moue agacée et me fixa sans ciller, baissant la voix.

— Je suis en train de m'organiser pour préparer ton départ, alors oui, tu vas m'accorder deux minutes de ton précieux temps !

Je me renfrognai aussitôt. D'abord les reproches d'Hadès, et maintenant Justin ? À croire qu'ils s'étaient tous donné le mot pour me faire chier.

— Abrège, ordonnai-je sèchement.

Dans son regard, je vis l'avertissement.

— Modère tes manières, je n'aime pas ce ton.

— Désolé, grommelai-je.

Il lâcha un juron excédé devant la maigre conviction de mes excuses, et continua, visiblement irrité.

— Il te manque des visites d'entreprises.

J'arquai un sourcil, dubitatif. J'étais pourtant persuadé d'avoir fait le tour des patrons de mes apprentis.

— Qu'est-ce que tu racontes ? marmonnai-je.

Il me tendit sa tablette et désigna un tableau Excel de son index.

— Il manque un compte-rendu, ici, expliqua-t-il en cliquant sur un onglet. Chez Evangeline, je crois.

Mon estomac se contracta soudain et je sentis mon visage se figer. Le cerveau lent, j'eus du mal à reprendre contenance. Justin continua, me présenta une feuille de route remplie, puis une autre vierge.

— Là, il y a bien un compte-rendu d'une première visite, mais elle a changé d'entreprise, il manque celui-ci.

La gorge serrée, le cœur aux abois, je tâchai de réguler mon intonation avant de répondre de la façon la plus nonchalante possible :

— Est-ce que c'est vraiment obligé ?

Je n'étais pas prêt à la voir tout de suite. Pas dans ces conditions, pas après ce que je lui avais fait. Pas dans l'état dans lequel j'étais.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant