Chapitre 11

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Je ne voulais pas aller en salle des profs, ce matin. Je n'avais pas envie de sentir l'ambiance morose, pas envie de parler d'Alex non plus. Je n'avais pas été proche de lui du tout, alors faire la triste mine pour que ça soit acceptable aux yeux des autres, non merci. Je récupérai mon smartphone dans mon casier, toujours éteint, et soufflai. Peut-être que Philippe avait un chargeur, lui ? Mince, j'allais devoir quand même affronter mes collègues, ce matin ?

Résigné, je me dirigeai vers la salle qui nous était réservée, je fus interpellé par Philippe dans le couloir, m'épargnant d'avoir à le chercher. Nous nous saluâmes et me fit signe de le suivre en direction des labos.

— J'ai vu que tu avais bossé, hier soir ? me questionna-t-il, un sourire aux lèvres.

— Tu es allé dans la réserve ? l'interrogeai-je alors.

— Oui et c'est super classe, fit-il, admiratif. Quelques heures de pratique en plus et tu auras ton CAP.

Il pouffa et je l'imitai, soulagé qu'il ne me force pas à parler de notre collègue décédé.

— Au fait, tu aurais un chargeur sur toi ? lui demandai-je aussitôt. Mon téléphone est vide, j'ai pas pensé à le brancher hier soir.

— T'es définitivement pas de la bonne génération, toi, se moqua-t-il. Tous les gens de ton âge ont le téléphone greffé à la main, ils n'oublieraient jamais de le brancher pour la nuit !

Je haussai les épaules. Hormis ma famille, je n'avais personne à appeler et personne ne m'appelait. Qu'il s'éteigne seul arrivait souvent et ça ne me traumatisait absolument pas.

— Et non, je n'en ai pas, désolé.

— Pas grave, merci quand même.

— C'est moi ou tu as l'air crevé ? fit-il tout à trac.

— Je suis resté tard, hier soir, avouai-je alors dans un demi-mensonge.

— Pense à te reposer tout de même, gamin.

J'esquissai un sourire tandis que nous arrivions dans la réserve. Je lui parlais de ma soirée, omettant la présence d'Eva, et lui montrais mes croquis. Pour la plupart des fleurs, j'étais parvenu à un résultat satisfaisant. Philippe me donna quelques pistes à explorer sur les prochains essais, mais je lui avouais que je n'étais plus sûr de vouloir me lancer dans ce type de concours. Il mit mon désistement sur le compte de la fatigue et me promis que nous en reparlerions quand la sonnerie retentit, nous rappelant à l'ordre.

Il me quitta pour rejoindre sa classe, tandis que je prenais le chemin de la mienne. En pénétrant dans le labo vide, mon cœur se mit à battre plus vite, me rappelant ce qu'il s'y était passé la nuit précédente. J'eus le sentiment de sentir le parfum d'Eva et j'ouvris précipitamment les fenêtres, aérant la pièce. Rien que de me rappeler l'odeur de ses cheveux me rendait fébrile. J'étais dérangé. Je devais me contrôler. Et la repousser.

Elle m'aida, ce matin-là. Elle sembla abattue toute la matinée, m'ignorant avec soin, ce que je pouvais comprendre. Notre proximité de la veille devait l'avoir secouée et je me reprochai d'être responsable de sa morosité. Mieux valait que je commence à la traiter comme les autres. Tous ses efforts pour me demander de m'éloigner réduits à néant. J'avais été si égoïste ! Et maintenant que le mal était fait, je faisais enfin preuve de responsabilité. Ça n'enlèverait rien à mon erreur, malheureusement. Je me haïssais tant de lui faire subir ça !

Je passais le cours de pratique dans un état second. Épuisé et courbaturé, je n'avais pas fait preuve de beaucoup de patience et de pédagogie envers mes apprentis. Ils avaient tous senti mon humeur changeante et avaient tenté de terminer sans moi, bien que je dus aider Antoine à rattraper sa ganache qui avait commencé à trancher.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant