Chapitre 49

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— Chloé, pousse-toi s'il te plaît, ordonnai-je calmement.

La jeune femme renifla et s'exécuta. Une fois relâché, le corps de son amie tomba mollement dans mes bras. Chloé poussa un couinement apeuré.

— Elle... elle...

Avec des gestes précautionneux, j'allongeai Eva sur le canapé, glissant un coussin sous sa nuque. J'avisai ses yeux qui frémissaient, son teint crayeux, et une envie de fracasser des genoux me reprit.

— Luc, qu'est-ce qu'on fait ? gémit Chloé, impuissante.

Elle avait peur et je m'efforçai de garder mon calme, de gérer la situation au mieux pour Eva.

— Sa crise d'angoisse est trop forte, son cerveau redémarre pour la ménager, la rassurai-je. Ça lui arrive de temps en temps, mais ne t'en fait pas, elle va revenir à elle dans quelques secondes.

— De temps en temps ? souffla-t-elle, les yeux embués.

— Dès que ses barrières contre l'autre ordure deviennent trop fragiles.

Prudence apparut soudain près de moi, un verre d'eau à la main, me le tendant sans un mot. Je la remerciai d'un signe de tête avant de me lever, incapable de rester en place. Doigts serrés autours du verre, je me mis à déambuler dans le salon, nerveux. Ma première pensée fut pour le père d'Eva. Quelqu'un devait le prévenir. J'eus un regard vers Chloé qui, à genoux près du canapé, tenait la main de son amie dans la sienne. Après une gorgée d'eau, je pris ma décision.

— Chloé ? Tu préviendras son père ?

Elle se tourna vers moi, cligna des yeux, incertaine, et hocha la tête. Je me demandai si elle avait réellement compris la question quand Eva gémit doucement et je posai le verre sur le sol avant de me rapprocher du canapé. Bras sur le dossier, j'observai la jeune femme lutter pour revenir à la surface. De ma main, je caressais sa joue, son front et ses yeux papillonnèrent soudain, se fixant presque aussitôt sur les miens, au-dessus d'elle. Noyé dans ses prunelles où je lisais sa douleur, si vive, je déglutis difficilement. Chloé enroula ses bras autour du cou de la jeune femme.

— Bon sang, tu m'as fichu la trouille ! s'exclama-t-elle, la voix chargée d'angoisse.

Nos prunelles toujours arrimées, je tâchai de lire en elle, de voir à quoi elle pensait, si elle allait bien. J'eus peur de ce voile qui s'était abattu sur ses iris bleus et mon estomac se contracta douloureusement en me rappelant la dernière fois que je l'avais vu. Juste avant qu'elle ne tente de mettre fin à ses jours. La colère contre Laurent fit place à la terreur de la perdre. Notre échange silencieux se prolongea et elle ne cilla pas une seconde. Je tâchais de transmettre toute ma force, ma tendresse, dans mon regard et elle se redressa soudain, essayant de s'asseoir.

Chloé s'écarta alors en reniflant, s'essuyant la joue d'une main nerveuse, et Prudence lui prit la main, la faisant s'asseoir près d'elle. Eva souffla discrètement et, d'un geste, je récupérai l'élastique de ses cheveux qui se faisait la malle avant de passer mes doigts dans ses boucles. Sans un mot, je rassemblai la masse brune en une queue de cheval lâche et contournai le canapé, m'installant près d'elle. Elle se blottit aussitôt contre moi. Mes bras l'entourèrent et je déposai un baiser sur son crâne.

— Ça va ? demandai-je avec douceur.

Elle hocha seulement la tête, donnant le change. J'avais posé une question idiote, mais elle s'efforçait déjà de nous rassurer.

— Tu as envie d'en parler ? glissa Prudence d'un ton peu assuré.

Elle hésita et se tourna vers moi, me sondant du regard. Mon cœur tambourina. J'avais tant envie de la ramener à la maison, de l'enfermer avec moi pour la protéger. Du monde, des autres, d'elle-même.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant