Chapitre 69

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Nous nous installâmes sans attendre Antoine et Eva, remontés dans leurs chambres pour poser les macarons et dès qu'ils nous rejoignirent, on nous servit aussitôt. Je restai silencieux tout au long du repas, prenant à peine part aux discussions des apprentis. Justin m'ignora superbement, probablement encore en train de bouder après notre conversation. J'eus un message pendant le repas et, pensant qu'il s'agissait de Pierrick, je l'ouvris dès que le téléphone vibra.

✉ Jean-Philippe Vasan — [Merci. RAS ?]

C'était si succinct, j'avais envie de lui envoyer un doigt d'honneur. Rongeant mon frein, je répondis avec autant de courtoisie.

✉ Luc — [RAS]

Allez vous faire foutre, pensai-je en appuyant sur [Envoyer]. Je retins un profond soupir et picorai sans appétit. Le repas s'éternisait et je n'avais qu'une envie, retrouver Pierrick et un semblant de chaleur dans cette soirée qui me gonflait déjà. Je prévins ce dernier dès que les assiettes furent débarrassées et je tapotai nerveusement sur la table en attendant la suite. Desserts et cafés avalés, nous nous levâmes d'un seul homme et Justin nous stoppa dans le hall.

— Je te les laisse, ce soir, j'ai du boulot, m'annonça-t-il d'un ton morne.

Il tourna les talons sans rien ajouter et je ne relevai pas, faisant simplement signe à mon groupe de me suivre. Nous longeâmes de nouveau la rue de Rivoli, dans l'autre sens, cette fois, et nous parvînmes en un instant devant le bar que Pierrick m'avait recommandé. Il s'agissait d'un établissement visiblement huppé. Dès que nous entrâmes, le barman nous analysa d'un œil critique. Une décoration chic et sophistiquée, que mes apprentis admirèrent un instant avant de repérer Pierrick, près de l'immense bar, qui nous fit signe de la main. Son sourire avenant convainquit les plus réticents, qui jetaient des regards inquiets au barman, dont le regard indiquait qu'il songeait visiblement à les mettre dehors.

— Venez, approchez, la première tournée est pour moi ! s'exclama Pierrick quand nous arrivâmes à son niveau.

Ils ne se le firent pas dire deux fois et tous commandèrent une bière, après m'avoir consulté du regard. Après avoir attrapé la mienne, j'emmenai Pierrick vers un mange-debout isolé, mais nous fûmes aussitôt suivis par Victor, Guillaume et Lucas, qui fondirent sur Pierrick tel des vautours sur un cadavre encore chaud.

— Alors, chef, comment vous nous avez trouvé lors de la masterclass ? s'exclama Victor.

Il avait été un des rares à ne pas recevoir de compliments, pendant celle-ci, et il avait probablement échangé avec ses camarades, pour avoir l'air d'avoir besoin d'en entendre à son sujet. Pierrick esquissa un sourire qu'il voulu chaleureux, mais que je savais indulgent.

— Vous avez été formidables, vraiment, admit-il. Votre génération a de beaux talents parmi vous.

Son tact et sa diplomatie me fascinaient. Il était évident que Victor demandait à ce qu'on le complimente lui, plutôt que le groupe, et son teint vira un peu au rouge.

— Ah oui ? insista-t-il. Vous pensez qu'on parviendra à votre niveau, un jour ?

— Oui, répliqua Pierrick. On a du souci à se faire !

— Vous étiez bien plus doués que nous, à notre âge, non ?

J'en avais déjà plein le dos, de ses questions dirigées, et je retins un grommèlement en avalant une gorgée de bière.

— Oh, je n'en suis pas si sûr, j'ai vu des jolies prouesses, cet aprèm, glissa mon ami en me fixant droit dans les yeux.

J'esquissai un sourire. Il était subtil, mais je compris tout de suite le sujet qu'il voulait aborder, et je fis face aux garçons, l'air sévère.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant