Chapitre 79

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La journée du lendemain défila à toute vitesse et paradoxalement, l'attente de nouvelles d'Eva fut douloureusement longue. L'estomac trop noué pour manger, le moral en négatif, j'avais sauté le repas du midi, espérant, encore contre toute vraisemblance, que Nora ne serait jamais évoquée. J'avais fait des cauchemars à son sujet toute la nuit, ce qui n'aidait pas mon humeur. Sans même la saluer, j'envoyai mon premier message de la journée en milieu d'après-midi.

✉ Luc — [Tu arrives bien à 18h ?]

Quand son silence dura trop longtemps à mon goût, je la relançai, estimant qu'elle était déjà installée dans le train.

✉ Luc — [Tu as vu mon message ?]

Pas de cœur, pas d'emoji, pas de superflu. Son absence de réponse m'indiquait clairement ce que j'avais redouté : elle savait. Et elle était furieuse. La douleur qui ceignit mon palpitant me coupa le souffle. Je me détestais tellement, je ne savais pas quoi faire pour rattraper la situation. L'appeler était exclu, je n'en avais pas le courage. Je pouvais tenter un message, mais je doutais qu'elle le lise.

Comment pourrait-elle seulement me pardonner ? Je n'avais rien fait pour mériter qu'elle veuille bien me parler. J'avais esquivé le sujet, j'avais toujours fait en sorte de cacher l'existence même de Nora dans ma vie. Cette fois, dans le livre de Pierrick, quand elle m'avait montré cette photo... J'aurais dû lui parler à ce moment-là. Mais c'était trop tard, j'avais tout gâché. Et ça faisait encore plus mal que la dernière fois.

On m'avait accordé une deuxième chance, une opportunité unique d'être enfin heureux et j'avais vécu cette relation avec tant d'intensité que la descente était vertigineuse. Que Nora me quitte n'était qu'une suite logique à mon infertilité. Ça n'avait pas été ma faute, juste un coup du sort qui m'avait autant blessé qu'elle. La culpabilité m'avait poursuivi, me poursuivait encore, mais j'avais compris, après de longs mois, que je n'y étais foncièrement pour rien. Cette fois, Eva allait me quitter parce que j'avais mal agi.

Pourquoi devrais-je m'en plaindre, après tout ? C'était ce que j'avais prévu, depuis le début. Notre relation n'était pas faite pour durer, j'en avais été persuadé et j'y étais prêt. Pourtant, rien ne m'avait préparé à ce que ce fut aussi violent pour mon moral.

Je l'aimais. Je l'aimais tant, je n'avais jamais réalisé à quel point sa perte m'affecterait à ce point. J'avais négligé de me protéger. Dans mon désir de l'aimer, d'être aimé en retour, je l'avais laissé se glisser dans une faille de mon cœur. Il était désormais évident que je n'avais jamais été prêt à me laisser aller à renouer avec de tels sentiments. La faille ouverte, j'étais à la merci du désespoir.

Il s'abattit sur moi comme un vieil ami et je l'accueillis sans broncher, m'enfonçant dans une mélancolie à présent familière. Le rire de Nora résonnait à mes oreilles, se moquant de moi, enfonçant un pieu dans mon crâne et mon cœur. Je ne me laissais pourtant pas aller à l'apathie. Je devais tenter quelque chose, n'importe quoi. Je me savais incapable de lutter, pourtant, une maigre résolution me poussait à me justifier. Au moins, essayer.

À l'heure de récupérer Eva, je n'avais toujours pas de nouvelles de sa part, et s'il me restait un maigre espoir qu'elle ait eu l'excuse de dormir pendant le trajet, c'était terminé, désormais. J'étais à la gare, sans trop savoir pourquoi je m'infligeai ça, et j'attendais, nerveux, malheureux, qu'Eva apparaisse. Voir sa tante, de l'autre côté du parking, ne me fit même pas mal. Je m'étais bien imaginé qu'Eva ferait appel à quelqu'un d'autre, en comprenant qu'il lui fallait s'éloigner de moi. Je plissai les lèvres et, enfin, aperçu sa chevelure brune flotter derrière elle, tandis qu'elle trottinait le plus vite possible jusqu'à sa tante, qui l'attendait près de sa voiture. Mon cœur se serra, ma bouche s'assécha, et je l'appelai d'une voix atone :

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant