Chapitre 38

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Le lendemain matin, quand je la déposai, j'eus le sentiment qu'elle emmenait mon cœur avec elle. Avant qu'elle sorte de la voiture, je lui proposai de l'emmener au marché de Noël, la semaine suivante, et elle accepta avec une joie non dissimulée. Il était si facile de lui faire plaisir, c'était tellement rafraichissant ! Nous nous quittâmes moins tristes que prévus, plus impatients que jamais que la semaine se passe le plus vite possible.

Ainsi, pour les derniers à l'école avant les vacances scolaires, je m'appliquai à suivre les conseils de Pierrick, et je repris les entraînements le soir, dans les labos du CFA. Philippe m'avait proposé de m'assister, mais j'avais refusé, préférant me mettre dans les conditions réelles, c'est-à-dire : sans aide. C'était rude. Les gestes techniques ne revenaient pas assez rapidement à mon goût et, cumulant quelques échecs en plusieurs soirs, je me reprochais mon manque de sérieux.

Le jeudi soir, comprenant que je n'avançais pas, Pierrick me suggéra de me regarder faire en visio et j'acceptai, dépité. En installant mon ordinateur portable et ma caméra haute définition, pour plus de confort pour mon ami, je me fis l'impression d'être un streameur démarrant sa cession. J'eus toutes les peines du monde à régler l'inclination de l'objectif, vérifiant une dizaine de fois que la visibilité était bonne sur le retour caméra et quand Pierrick m'appela, nous peaufinâmes les détails.

Le voir, même via écrans interposés, me fit un drôle d'effet. Mon corps avait réagi d'instinct et mes poumons s'étaient bloqués, mon estomac avait vaguement tourné et mon cœur s'était serré. Il n'avait pas changé et au moment où je le pensais, il me retourna le compliment et nous rîmes de bon cœur avant de nous féliciter sur nos lignes bien entretenues de trentenaires.

Nous commençâmes enfin. Il rectifia plusieurs fois quelques-unes mes techniques, suggéra d'autres méthodes et j'eus enfin l'impression d'évoluer. Pendant que je travaillais, il me parlait de Justine, des progrès de Louis dans ses mouvements et je l'écoutais d'une oreille distraite, tout à mes créations.

— Au fait, et ta nouvelle copine ? me lança-t-il soudain. Elle te laisse traîner le soir au CFA sans rien dire ?

J'étais en train de fixer une fine tige de sucre tiré sur ma pièce. Je serrai les lèvres, appliqué, et une goutte de sueur perla sur ma tempe quand je m'écartai, priant pour que ça tienne.

— Tu choisis ton moment pour poser ce genre de questions, enfoiré, grommelai-je.

— Faut que tu réapprennes à bosser sous pression ! se marra-t-il.

— Ouais...

Je me tournai vers l'écran, avisant le regard amusé de Pierrick et désignai mon début de pièce en fronçant les sourcils. Je n'étais pas convaincu de la couleur, je n'étais pas convaincu non plus des effets graphiques que j'avais voulu donner sur le côté du crâne, et le fouet ne me plaisait pas plus que ça.

— Qu'est-ce que tu en penses ? demandai-je, un peu nerveux.

— J'en pense que tu esquives ma question.

— Putain, t'es chiant ! jurai-je sans retenue.

— Merci ! Et j'en pense qu'on peut optimiser les lanières, sur le côté du crâne. Elles sont un peu trop épaisses, sans doute pas assez longues.

Je hochai la tête, content que nous ayons le même point de vue. Je me tournai vers l'écran et relançai :

— Et la couleur jaune du coffre ?

— Elle est très bien.

— T'es sûr ?

— Certain.

Devant mon air dubitatif, il roula des yeux.

— La luminosité n'est pas la même au Sirha, ils n'ont pas le même éclairage terne que tu as ici, au CFA, expliqua-t-il patiemment. Je t'assure qu'avec une lumière plus directe, plus blanche, la couleur sortira différemment.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant