Chapitre 67

158 35 61
                                    

Pierrick avançait tel un super-héros venu sauver la veuve et l'orphelin et tous les gamins béaient presque d'hébétude, ce qui amusa visiblement mon ami. Ne manquait plus qu'une lumière braquée sur lui, ou une mer qu'il pourrait partager en deux, des cheerleaders scandant son nom. Je le voyais, il était habitué à l'effet qu'il produisait. Je levai les yeux au ciel tandis qu'il se dirigeait sur moi, m'enlaçant avec force.

— Ça va, les chevilles, Superman ? chuchotai-je.

Il pouffa et serra ensuite la main de Justin, le saluant d'un hochement de tête. Il se tourna à nouveau vers les apprentis, un air enchanté sur le visage. Je m'occupai de les présenter tour à tour, commençant par Eythan et Guillaume, les plus près de nous. Je vis tout de suite ceux qui tentèrent de faire du zèle, souriant faussement, une lueur avide dans les yeux. Je me mordis la langue devant Victor et son ton mielleux, et enfin arriva le trio, puis Eva.

— La seule fille du groupe, lâcha Pierrick en esquissant un sourire.

La meilleure, la plus belle, la plus talentueuse. Je n'étais pas impartial, mais j'avais tant envie de le dire ! Nos yeux se croisèrent un instant et je lus dans ses prunelles toute son appréhension, mais également sa reconnaissance d'être là. Mon cœur battait fort, en voyant se faire face ma petite amie et mon meilleur ami. Celle qui m'avait rendu la vie après avoir été massacré par la sœur dudit meilleur ami. Mes émotions étaient brouillées, je ne parvenais pas à savoir exactement ce que je ressentais à ce moment, mais c'était fort.

— Et voici Eva, articulai-je sans dissimuler ma fierté. Une des meilleures de sa génération.

Ses joues se parèrent de rouge et j'eus une folle envie de l'embrasser. Pierrick tendit la main, visiblement amusé par ma présentation.

— Enchanté, Eva, glissa-t-il aimablement. Ton prof te met sur un piédestal.

— Il a surtout tendance à l'exagération, argua-t-elle, mal à l'aise.

— Ah, tu as remarqué aussi ? ricana Pierrick en me fixant d'un air sournois.

J'étais vaguement agacé. Ne pouvait-elle pas juste prendre le compliment, qui était réel, par-dessus le marché ?

— La modestie est un trait honorable, mais ce n'est pas elle qui t'a conduite ici et tu le sais parfaitement.

J'avais été dur et elle baissa les yeux, mortifiée. Nous en avions parlé, son manque d'ambition et de combativité finirait par lui fermer des portes. J'avais conscience que son introspection pouvait être difficile à surmonter, mais ici, il fallait se surpasser. Si je savais déjà que sa personnalité effacée serait un frein pour sa carrière, j'avais, en revanche, très bon espoir sur ses prochaines prouesses en labo. Ça compenserait.

— Quelle rudesse, pouffa Pierrick. Ça non plus, ça n'a pas changé.

Sois dur avec les autres, encore plus envers toi-même, avait été mon mantra pendant un long moment, il le savait. Quand j'avais été à la tête des pâtissiers chez Rupert, c'était ce qui m'avait caractérisé. Souple quand il le fallait, mais dur quand c'était nécessaire. C'était ce qui faisait l'étoffe d'un chef, à l'époque. Je levai les yeux au ciel. J'avais changé, depuis que j'étais devenu formateur au CFA et j'avais appris la pédagogie. L'enseignement avait eu quelque chose de positif sur ma façon de voir les choses. Être en compagnie de Pierrick me faisait retomber dans mes anciens travers. Il frappa soudain dans ses mains, me faisant sursauter, et annonça, claironnant :

— Prêts ? On est partis ?

Nous le suivîmes à l'extérieur, Justin à ses côtés, et remontâmes la rue de Rivoli, longeant les hautes grilles en fer ouvragé qui entouraient le Jardin des Tuileries. Pendant que Pierrick parlait de son parcours, de la ville, je jetai un œil au parc, cherchant à repérer le bassin qui m'intéressait pour prendre des photos, mais en dehors de quelques statues, d'arbres et de la grande roue, je ne voyais pas grand-chose. Je sentis des doigts frais frôler ma main et je me tournai aussitôt vers Eva, qui marchait près de moi, essayant de caler ses petits pas sur les miens.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant