Chapitre 9

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J'étais conscient d'aller trop loin, encore une fois. Elle qui avait eu la force de me repousser, comment pouvais-je la trahir de cette façon ? J'étais égoïste et cruel, il était inutile de le nier. Je ne me savais pas comme ça. Une pensée pour Philippe me crispa et je fermai les yeux un instant, avant de fixer Eva, dont le visage était écarlate.

— Désolé, je ne suis pas capable de respecter ce que tu m'as dit, soupirai-je. C'est tellement naturel pour moi d'être ainsi avec toi que tu me demandes vraiment beaucoup.

N'importe qui m'aurait demandé la même chose, c'était facile. Mais pas toi.

— Pour te dire la vérité, je n'ai pas envie d'agir différemment et j'ai eu le sentiment que l'avoir fait t'as blessée bien plus que de rester moi-même, ajoutai-je. Alors j'opte pour la solution la moins pénible pour nous deux, si tu le veux bien : je ne change rien.

Égoïste, cruel et menteur. Je n'ignorai pas que je lui suggérai de laisser tomber surtout pour moi, car j'avais besoin qu'elle soit proche de moi. Elle me faisait du bien. Trop de bien. Elle ne se rendait pas compte, ne se rendrait probablement jamais compte, du pouvoir qu'elle avait soudain sur moi. Ce petit bout de femme avait fait de moi un être faible et si peu fiable ! Juste parce qu'elle avait éveillé en mon âme une étincelle oubliée.

Depuis sa tentative de suicide, elle avait tant besoin de moi, je m'abreuvais de ce besoin. J'étais bien plus qu'utile, à ses yeux, j'étais son sauveur, son confident. Un rôle qui adoucissait ma mélancolie, me rendait important pour quelqu'un. J'étais tant en manque de cela, loin de l'image que cette femme avait tenté de me coller. Loin d'image que je voyais parfois dans le reflet du miroir. J'adorais qu'Eva ait besoin de moi. Je refusais l'idée que je puisse avoir une affection autre que celle-ci. Pas question.

Elle esquissa un sourire crispé. Clairement, ma suggestion la rendait nerveuse, mais elle n'était pas plus en mesure que moi de la refuser.

— Ça me va, souffla-t-elle.

Mes lèvres s'étirèrent d'elles-mêmes et elle rougit, esquivant mon regard. Elle me fendait le cœur, mais toute cette candeur me faisait fondre également.

Elle est mineure.

Incapable de faire taire cette voix dans ma tête, je me focalisai à nouveau sur mon exercice du soir, à savoir : les fleurs pour le concours. Je fronçai les sourcils pendant que je reprenais mon façonnage, me concentrant sur celui-ci, sur ce que je faisais de mes mains. Eva ne reprit pas la parole et je ne l'y encourageais pas, j'avais besoin de toute ma concentration pour finir mes sculptures, collant un pistil sur mon anthurium, façonnant les derniers pétales de cette fleur de frangipanier qui me donnait du fil à retordre, puis je fis une moue.

Je n'étais pas satisfait de la couleur de l'hibiscus, pas convaincu par la forme de mon anthurium, mais peu importait. Je savais que je devais faire preuve de patience et surtout de tolérance envers moi-même. Je reprenais tout juste les gestes techniques, après presque deux ans sans faire ce genre de travail. Ma confiance en moi avait été mise à mal, mais j'allais reprendre mes marques, je ne m'inquiétais pas. Une fois avoir rempli un premier plateau de mes fleurs, je plaçai le restant de mon sucre sous la lampe chauffante et enlevai mes gants.

— Je reviens, je vais poser ça dans la réserve, annonçai-je à Eva.

— D'accord.

Elle avait eu l'air distant, mais je ne m'en formalisai pas. D'une main, je déverrouillai la porte et quittai le laboratoire, marchant avec d'infinies précautions. À présent que nous étions revenus au point de départ, avec Eva, je devais admettre que je me sentais un peu mieux. J'avais moins le sentiment de marcher sur des œufs, je me sentais libre d'être moi-même. Pas trop non plus, car il fallait reconnaître que depuis que je l'avais tenue dans mes bras, j'avais une furieuse envie de recommencer, de la sentir contre moi.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant