Chapitre 15

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Sans surprise, je passai un très mauvais moment. Je ne m'étais pas attendu à ce que l'ambiance soit festive – c'était rarement le cas lors d'une crémation –, mais je ne m'étais pas douté que j'allais être affecté par le décès d'Alexandre. Les larmes de sa famille me bousculèrent. Sa petite sœur semblait avoir l'âge de Sophie, et j'eus du mal à rester de marbre quand nous procédâmes au défilé devant le cercueil. En croisant le regard de Philippe, quand je retournai m'asseoir après un dernier geste pour Alex, je compris pourquoi il avait autant insisté pour que je l'accompagne.

Il voulait me montrer ce que ma famille avait failli endurer par ma faute. Alexandre avait perdu la vie alors qu'il n'avait que trente ans. L'âge que j'avais quand j'ai eu mon accident. J'aurais pu être dans ce cercueil, deux ans plus tôt. Je secouai la tête, peiné et agacé. Je me doutais bien qu'il avait tenu à venir pour lui, pour son propre deuil, mais me traîner ici pour me faire la leçon était une tactique retorde, même venant de lui.

La cérémonie allait continuer, mais je fis comprendre à Philippe que ma patience s'élimait. J'étais épuisé et penser que mon collègue avait pu me tendre un guet-apens sapait singulièrement mon moral. Je n'avais plus qu'une envie : quitter les lieux au plus vite. Nous partîmes avant qu'ils n'aillent tous se retrouver pour le repas. C'était déjà le début de l'après-midi et j'avais plus que besoin de calme et de solitude. Nous présentâmes une nouvelle fois nos condoléances, saluâmes nos collègues du CFA et nous rejoignîmes la voiture.

Le soleil avait disparu, d'épais nuages obscurcissaient le ciel et la neige se mit à tomber de nouveau. Philippe pesta dans sa barbe tout du long, avant de se taire quand il comprit que je ne comptais pas prendre la parole tout de suite. Nous gardâmes le silence un long moment, jusqu'à ce que ma mauvaise humeur me rattrape.

— T'es pas croyable, grommelai-je en croisant les bras. Qu'est-ce que tu croyais faire, en m'emmenant là-bas ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répliqua Philippe, surpris.

C'était indécent et irrespectueux d'essayer de me faire culpabiliser de la sorte et qu'il le nie me fit voir rouge.

— Oh, je t'en prie, pas avec moi ! m'insurgeai-je. Tu m'y as trainé pour que je réfléchisse, pour me donner une leçon !

— T'es complétement malade ! s'écria-t-il alors, me prenant de court. Ça n'a rien à voir ! Pour qui est-ce que tu me prends ? Je suis pas aussi con !

Je plissai les lèvres. Non, c'était vrai, il ne l'était pas. Pourquoi le pensai-je, alors ? Pourquoi l'en croyais-je capable ?

T'as des problèmes à régler, avait-il dit, plus tôt dans la journée. Peut-être voulait-il dire ça.

— Je t'y ai emmené parce que c'était un de nos collègues, bordel de merde ! continua Philippe, remonté et touché. Parce qu'il était jeune, que c'est triste, et que nous voir là-bas a probablement fait du bien à sa famille ! Je t'y ai emmené aussi par bienveillance envers nos collègues, pour qu'ils se sentent moins seuls dans leurs deuils. Pas pour toi, pour te faire culpabiliser ou pour te faire la morale !

Sa voix se brisa sur les derniers mots et, quand je vis sa mine affectée, je pinçai les lèvres. J'avais tout à coup honte de moi. Philippe avait été présent depuis le début, pour moi, oscillant entre le paternalisme d'une bienveillance suffocante, et le coach sportif un peu trop enthousiaste. Jamais il n'avait été plus loin que ça, il n'avait pas cherché à me charger de culpabilité. Pourquoi commencer aujourd'hui, alors que j'allais mieux ? En tout cas, j'essayais de l'être. D'où venait cette paranoïa ? De ma culpabilité pour Eva ?

— Désolé, marmonnai-je en me tournant vers la fenêtre.

Nous roulâmes sans rien ajouter de plus jusqu'à parvenir dans mon lotissement et, quand Philippe gara la voiture, je me tournai vers lui avec une moue d'excuse.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant