Chapitre 76

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L'ambiance avait radicalement changé. La veille, les apprentis étaient survoltés, animés, se vannaient sans cesse, dans la bonne humeur. Aujourd'hui, c'était carrément morose. Je me doutais que je n'étais pas étranger à ce changement, mais même James et Antoine semblaient être ailleurs, préoccupés. Je pensais aussitôt qu'Andy leur avait parlé des évènements de la veille. Dans quelle mesure ? Je n'en avais aucune idée, mais il était clair qu'ils savaient quelque chose.

Au bout d'une vingtaine de minutes, on toqua à la porte et Eva entra sans attendre, tandis que tout le monde parut se figer. Son visage était affreusement pâle, ses yeux légèrement gonflés et rougis par les larmes. J'agis par réflexe et m'approchai d'elle avant de lui attraper discrètement le bras, la faisant sortir de la salle. Je fermai la porte, l'enlaçai avec force, la relâchant presque aussitôt, des bruits de pas se rapprochant dans le couloir.

— Ça va, tenta-t-elle de me rassurer. Ça va, t'en fais pas.

Je caressai sa joue et remarquai sa peau trop froide. Elle ne reprenait pas de couleurs et j'eus un sourire crispé.

— Tu ne sais pas mentir, mon ange.

Andy arriva à notre hauteur et me salua d'un signe de tête. J'avais tant de questions, tant de choses à lui dire, mais je ne trouvai pas les mots. J'esquissai un vague salut et les invitai à entrer à ma suite. Dès que nous pénétrâmes dans le labo, les conversations stoppèrent, mais je les ignorai. Eva et Andy se faufilèrent parmi leurs camarades pour retourner à leurs postes de travail, tandis que je rejoignis mon bureau pour récupérer les feuilles du prochain exercice. Assis sur mon tabouret, je gardais un œil sur Eva, qui échangeait avec les garçons et soudain, je vis James l'enlacer maladroitement par-derrière. Je détournai le regard, vexé.

— On peut reprendre ? lançai-je un peu sèchement.

Ils s'exécutèrent, même les curieux qui avaient levé les yeux, comprenant qu'il s'était passé quelque chose. La présence des gendarmes devant l'établissement et la tête d'Eva, il ne fallait pas être devin pour savoir qu'elle était concernée. J'étais furieux à l'idée de la savoir au milieu des ragots et des mauvaises langues, mais je ne pouvais rien y faire. L'attitude d'Andy pendant le cours, cependant, me réconforta. Que ce soit conscient ou non, il trouvait toujours le moyen pour se mettre entre elle et les autres, comme pour la protéger du monde extérieur.

La sonnerie libéra les gamins, qui quittèrent la pièce devenue un peu trop étouffante. Eva s'attarda, faisant signe à ses amis de partir dans elle et, après qu'Andy tira le bras d'Antoine qui insistait, nous nous retrouvâmes enfin seuls. Je fermai la porte derrière les garçon et la verrouillai, avant de me tourner vers la jeune femme qui m'enlaça aussitôt la taille en poussant un soupir las. Je l'entendis renifler, son corps tendu, et je resserrai mon étreinte, le cœur lourd.

— Tu n'aurais pas dû venir aujourd'hui, fis-je à voix basse.

Elle me relâcha et leva la tête, réclamant un baiser. Je visai le côté non abimé de sa lèvre, mais elle tressaillit tout de même légèrement.

— Je te réponds comme j'ai répondu à Chloé ; je n'aurais pas supporté d'être seule. Pas après...

Elle s'interrompit et mes mots dépassèrent ma pensée :

— Comment as-tu fait après...

Comment avait-elle fait pour supporter Laurent, alors qu'elle n'avait pas Chloé à ce moment-là ? Que je n'avais pas pu être présent non plus pour elle, que personne n'avait été là ? Comment avait-elle tenu ? Nous étions sur la même longueur d'onde, car elle répondit aussitôt, des trémolos dans la voix.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant