Chapitre 4

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Le chemin du retour fut laborieux. Les pensées parasitées par ce qu'avait pu vivre Eva, je ne parvenais pas à me calmer. L'envie de faire du mal à Laurent Siffret ne me quittait pas. Je savais qui il était, car j'avais échangé plusieurs fois avec lui, lors de son installation dans la région. Dès l'ouverture de sa boutique, il avait pris un apprenti, que j'avais également eu dans ma classe. Lors de ma visite dans son labo, il avait reconnu mon nom et m'avait aussitôt demandé plein de conseils.

Loin d'être devenu un ami, il avait été un formateur correct et, même lorsque j'étais à nouveau passé chez lui pour Eva, il avait eu l'air fiable. Un peu arrogant, beau parleur, mais pas dangereux. Il cachait bien son jeu, le salopard. J'avais tant envie de lui rendre ce qu'il avait fait à Eva !

J'étais dans mon lotissement quand je bifurquai, changeant subitement de trajectoire. Mes mains avaient réagi d'elles-mêmes, tant ma colère me dirigeait. Le crâne au bord de l'implosion, je me dirigeai sans y penser dans la ville voisine. Je connaissais le chemin, car natif de la région, je n'avais pas de difficultés à m'orienter.

Plusieurs fois, j'avais pensé m'arrêter à sa boutique, par curiosité, pour voir Eva travailler. Pourquoi n'avais-je pas cédé à mon instinct ? Parce que je savais que ce n'était pas uniquement la curiosité qui me poussait à aller la voir ?

Le cœur meurtrissant mes côtes, je m'arrêtais sur le trottoir, face à la Paille Dorée. Les mains crispées sur le volant, je soufflai fort, l'esprit imaginant tout un tas de scénarios pour punir Laurent. Avec des gestes maîtrisés, je quittai mon véhicule et observai les alentours. Il était tard, les lampadaires éclairaient une rue calme et sombre.

La rage courait dans mes veines, empoisonnant ma raison, brouillant ma vue. Je pouvais jeter un pavé dans la vitre. Avec de la force, je pouvais atteindre les stands et la vitrine réfrigérée. Ce qui déclencherait aussitôt l'alarme. Siffret vivait-il au-dessus de la boutique ? Pourrait-il me voir fuir les lieux ? Je levai les yeux vers le premier étage de l'immeuble, les sourcils froncés. Était-il chez lui ?

Plutôt que de m'en prendre à la vitrine, je pouvais aussi m'en prendre à lui.

Mes poings se crispèrent à cette pensée et je sursautai quand une femme passa près de moi, promenant son chien. Je réalisai alors la situation.

Qu'est-ce que je foutais là ?

Les pensées divergentes, je secouai la tête et retournai précipitamment dans ma voiture avant de repartir. Je ne pouvais pas croire que j'avais envisagé d'aller aussi loin. J'étais pourtant un homme réfléchi, en théorie ! Qu'est-ce qui m'arrivait ?

Le chemin inverse se fit dans un état second. J'étais obnubilé par une seule chose : je devais me préserver. Redresser mes barricades devenait vital.

Vandaliser une boutique, frapper un homme, pour cette fille ? Pour qui me prenais-je ? Avais-je vraiment envie de finir en procès pour une apprentie ? Ruiner ma vie, ma carrière, pour elle ?

Pourtant, je le savais, ce n'était pas qu'une simple apprentie. Elle m'avait hissé vers le haut, m'avait sorti de ma zone de confort, m'avait fait espérer plus que ma condition actuelle. En la guidant, la poussant à faire toujours mieux, je me revoyais plus jeune. Sans doute vivais-je par procuration, retrouvant des sensations oubliées. Son aura lumineuse m'avait touchée. Sa pureté et sa gentillesse avaient fait le reste. Je me sentais si vivant, auprès d'elle !

J'étais en train de vriller, tant j'étais désespéré.

En rentrant chez moi cependant, toute mon énergie me quitta. L'adrénaline semblait avoir été remplacée par un puissant sentiment d'abattement. Je me débarrassai de mes affaires dans mon bureau, lâchant mollement ma mallette sur sol avant de m'asseoir, prenant ma tête entre mes mains. Je n'en revenais toujours pas, toute cette histoire me paraissait si irréelle ! Vidé, je revis les images d'Eva, sur le sol des vestiaires, pâle comme la mort. Je me secouai, récupérant mon téléphone dans ma poche.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant