Chapitre 45

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Je n'avais pas compris ce qu'avait dit l'anglaise, mais ça avait touché Eva. Je lançai un regard noir à la blonde qui s'éloignait en lorgnant vers nous d'un air pincé et je crispai les poings. Tout dans son attitude montrait la désapprobation et je devinai aisément ses paroles. Mon regard se fixa à nouveau sur Eva qui détourna la tête. La colère s'empara de moi, sans que je comprenne réellement pourquoi et je plissai les yeux.

— Que se passe-t-il ? Elle a dit quelque chose ?

C'était une question rhétorique, j'avais juste besoin qu'elle me réponde honnêtement, qu'elle me traduise ses mots. Elle hocha seulement les épaules et m'attrapa la main, visiblement blessée.

— Rien, elle...

Elle nous entrainait vers le chalet, sans me regarder, et sembla déglutir. Pourquoi était-elle si troublée par ce qu'une étrangère pouvait dire de nous, de notre relation ? Elle était à ce point indécise sur notre couple pour tout remettre en question à la moindre remarque ?

— Elle a juste cru que j'étais ta fille, ajouta-t-elle finalement d'un ton peiné.

Je stoppai et lui tirai sèchement la main, l'obligeant à me regarder. Son air perdu me fit frémir de colère.

— Pourquoi ai-je l'impression que ça t'affecte un peu trop ?

D'ordinaire, la voir se mordre la lèvre provoquait une vague de désir pour elle. Pas cette fois. Pas quand elle avait l'air si abattu.

— Parce que c'est vrai, je suis très jeune, soupira-t-elle.

— Et alors ? m'énervai-je.

Remettait-elle en question notre légitimité ? Ça me rendait fou. Nous vivions cette relation cachés chez moi, ne nous exposant jamais, j'avais affronté son père au téléphone, je mentais à ma famille, elle également, et tout ça pour quoi ? Tout plaquer parce qu'une connasse d'anglaise faisait une remarque désobligeante ?

— Mais enfin, regarde-moi !

Des larmes glissaient sur ses joues, des larmes de frustration, ou d'agacement, je n'aurais pas su le dire. Je m'adoucis soudain et enlevai mon gant pour essuyer ses joues de mon pouce.

— Je ne fais que ça, ma belle, soufflai-je.

Toute sa détresse et son incertitude m'ébranlaient. Je savais que je ne devais pas m'attendre à ce que notre couple tienne sur la durée, mais quand bien même, j'avais espéré qu'il ne soit pas si fragile. J'avais trop évolué pour tout voir disparaitre tout à coup. Je secouai la tête, peut-être allais-je trop loin, peut-être n'envisageait-elle même pas de tout laisser tomber. Le rire jubilatoire de cette femme résonna en moi et je crispai la mâchoire.

D'un geste, je caressai les cheveux d'Eva pour m'ancrer dans le moment, dans notre instant et j'esquissai un sourire.

— J'aurais dû me raser. Je fais trop vieux avec cette barbe.

Elle ricana nerveusement et je repris avec plus de sérieux :

— Tu ne peux pas contrôler ce que les gens pensent ou disent. Je sais qu'il est facile de le dire, mais tu ne dois pas y prêter attention.

— Je suis une ado, j'imagine que le regard des autres est encore trop important pour moi.

C'était sans doute un peu vrai, pourtant...

— Tu n'as jamais été une ado à mes yeux.

Elle remonta ses prunelles humides vers les miennes et nous nous fixâmes un instant, sondant les pensées de l'autre. J'avais certainement déformé la réalité, car elle avait été adolescente lors de sa première journée au CFA. Ça avait rapidement changé, quand elle m'avait rendu mes regards avec franchise, qu'elle avait répondu à mes tacles par d'autres, tout aussi cyniques. Elle n'avait d'adolescent que les traits, avec ses joues encore un peu rondes et son air doux. Ne pouvant m'en empêcher, je portai à nouveau ma main sur son visage, caressant doucement ses taches de rousseurs qui apparaissaient discrètement après cette matinée au soleil.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant