Chapitre 57

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Vendredi après-midi, j'emmenai Eva chez son psy, au centre-ville. Si j'avais proposé de l'y accompagner, je n'étais pas encore sûr de pouvoir le rencontrer réellement. Je me doutais qu'il avait envie de voir qui était ce trentenaire qui entretenait une relation avec sa patiente si fragile. Étais-je prêt, cela dit ? Ma dernière visite chez le psy ne m'avait absolument pas aidé. Sa prescription de médicaments, surtout.

— T'es pas obligé de m'escorter jusqu'en haut, me glissa Eva pour la deuxième fois du trajet.

Nous étions dans l'ascenseur, menant à l'étage de son praticien et je gardai les lèvres closes depuis un moment, incapable de savoir ce que je ressentais. J'étais tendu, c'était évident. Eva le percevait, mais elle ne pouvait pas en connaitre les raisons. Elle ignorait que j'avais été à sa place, et je ne comptais pas le lui dire. Par orgueil ou pour la protéger, je ne savais plus tellement, à ce stade.

Devant la standardiste du docteur Chabert, mes mains tremblèrent légèrement. Je devais me ressaisir, pourtant, je sentais mon rythme cardiaque accélérer sensiblement tandis que nous nous dirigions vers la salle d'attente. Je m'installai près d'Eva, qui noua ses doigts aux miens, et je réfrénai mon désir de fuir sur le champ. Mes réactions me prenaient au dépourvu, jamais je ne m'étais imaginé être aussi nerveux. Mon ancien psy mériterait des tartes dans le groin, c'était de sa faute si j'étais dans cet état.

Je ne devais pas voir Chabert.

Je ne pouvais pas entrer dans ce cabinet, je ne devais en aucun cas me mettre à nu devant un autre psy, surtout pas ce psy, pas avec Eva dans la même pièce. Et quand cette réalité me frappa, la porte du cabinet du praticien s'ouvrit, le laissant apparaître. La jeune femme se redressa tandis que je tentai d'avaler la balle de golf qui s'était soudain logée dans ma gorge.

— Evangeline, c'est à nous ! s'exclama l'homme avec bonhommie.

Nous nous levâmes d'un même mouvement quand le psy ficha son regard dans le mien, surpris. Je me figeai, l'estomac noué. Je ne devais pas rester là. Un long frisson me parcourut et je déglutis difficilement.

— Je vois que vous êtes bien accompagnée aujourd'hui, commenta-t-il avec un vague sourire. Vous vouliez vous joindre à nous ?

Le sang sembla quitter mon visage et je secouai le menton avant de détourner le regard, de plus en plus mal à l'aise.

— Une prochaine fois, peut-être, m'excusai-je en croisant les yeux d'Eva.

Elle hocha seulement la tête, une moue étrange plissant sa bouche et je réalisai que je n'avais même pas salué le médecin proprement. Je serrai les poings et les dents, ignorant ce dernier, même quand il reprit à mon intention :

— Entendu. Ç'a été un plaisir d'enfin faire votre connaissance.

Eva me lança un regard interrogatif avant de suivre le médecin et je ne respirai que lorsqu'ils fermèrent la porte du cabinet sur eux. Je desserrai enfin les doigts, vaguement endoloris et je me hâtai de quitter les lieux, repassant devant la standardiste.

— Monsieur ? s'étonna-t-elle en me voyant débouler.

Je devais avoir une mine affreuse, car elle me fixa d'un air inquiet.

— Dites à Eva que je l'attends en bas, lâchai-je.

— Entendu, mais... je peux faire quelque chose pour vous ?

J'eus un ricanement nerveux et secouai la tête. Vous en avez assez fait. C'est ce que je voulais rétorquer, mais elle n'y était pour rien. Chabert non plus. Dans l'ascenseur, je m'appuyai contre la paroi en métal et je fermai les yeux, récupérant mes esprits. C'était plus ardu que ce que je pensais et les souvenirs revinrent par vagues. La raison pour laquelle j'avais consulté un psy, c'était pour essayer de sortir de ma morosité provoquée par la découverte de ma stérilité. Mon ex-femme m'y avait poussé, pensant sans doute que c'était psychosomatique. Si je ne l'avais vu qu'une fois avant le divorce, j'avais continué, par dépit, quand elle m'avait quitté.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant