Chapitre 121

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- Annie ? Attend s'il te plait.

Je m'arrêtais en entendant la voix de Johann. Je me retournais pour la découvrir à quelques pas de moi, Lucas en retrait. Je fus prise d'une envie soudaine de la prendre dans mes bras, je ne l'avais pas revue depuis mon transfert à Europa. Elle m'avait peut-être un petit peu manqué, je devais bien l'admettre. Je n'avais rien contre Johann, c'était leur situation commune, un tissu de mensonges, que je ne pouvais valider. Je lui souris faiblement.

- Je pensais pouvoir avoir cette conversation mais je n'en suis plus aussi certaine...

- Ecoutes Annie, dit-elle en prenant mes mains dans les siennes, vous devriez vraiment discuter. Je pense que vous en avez besoin autant l'un que l'autre. Ce pourrait être libérateur, sourit-elle sincèrement.

J'acquiesçais et elle saisit la main de Lucas pour le rapprocher de nous.

- Je pense que c'est une conversation que vous devriez avoir tous les deux. Vous pourriez peut-être faire un tour des jardins et je vous attendrai au chaud, juste ici, dit-elle en indiquant le chauffage le plus proche.

Je fus surprise de sa proposition mais acceptais malgré tout.

- Je vous laisse, sourit-elle simplement avant de s'éloigner.

Je longeais les hais en compagnie de Lucas dans un silence pesant. Je ne savais pas quoi dire, ni comment débloquer cette situation inconfortable et il ne me semblait pas plus avancé que moi. Nous marchions côte à côte sans un mot, allant tantôt à gauche, tantôt à droite, jusqu'à déboucher sur une large fontaine entourée de bancs en pierre et de plantes grimpant sur des palissages installés tout autour. Je m'assieds sans le consulter, il me rejoint et posa sa veste sur mes épaules avec un petit sourire. 

-Merci, souriais-je à mon tour. Tu me dis que tu dis que c'est fini avec Johann puis je vous vois ensemble, me lançais-je finalement, j'ai dû mal à croire que votre présence au même évènement soit une simple coïncidence.

- Ce n'est pas le cas. J'assiste au bal avec sa famille. 

- Tu... Avec sa famille, pensais-je à voix haute. J'aimerais te faire confiance Lucas, vraiment, mais tu ne me facilite vraiment pas la tâche.

Il hocha la tête, les yeux rivés sur les statues de poissons crachant de l'eau dans la fontaine. Le flux constant de l'eau était agréablement différent du brouha de la salle de bal, et reposant. Je fermais les yeux quelques secondes et les rouvrit quand il me répondit enfin.

- Je le sais, dit-il en se tournant vers moi, et je comprends ta méfiance. Ton passage à l'Institut de Kalisk m'a fait réfléchir et j'ai pris conscience de beaucoup de choses. Sûrement trop tard malheureusement, mais j'essaie de faire le nécessaire pour me rattraper. Est-ce que tu veux bien écouter ce que j'ai à te dire ? 

- Te rattraper... Je n'arrivais plus à former de phrase intelligible. J'avais la boule au ventre rien qu'en pensant à tout ce qu'il était sur le point de remuer et de ramener à la surface. Et pourtant je voulais l'entendre. Johann avait peut-être raison, peut-être avais-je tout autant besoin que lui d'entendre tout ceci. 

Je déglutis difficilement et lui indiquais mon accord d'un hochement de tête. Je resserrais les pans de sa veste autour de moi et soupirais longuement pour me préparer à l'écouter. Il lui fallut un instant pour se lancer, un instant qui me parut être une éternité. Il semblait aux prises avec lui-même, songeant sans doute à la meilleure façon d'aborder les choses. 

- Je ne sais pas exactement quand est-ce que ça a commencé mais à partir d'un point j'étais simplement obnubilé par l'idée que si je restais un sans grade toute ma vie je n'aurais jamais aucune valeur. Le fait de ne pas savoir pourquoi j'étais à l'Ecole, dans un orphelinat... pourquoi j'étais orphelin... ça me rongeait de l'intérieur et je ne m'en rendais pas compte. Surtout, je ne me rendais pas compte de la chance que j'avais d'être aussi bien entouré à l'Ecole. C'était un espace sain, un espace sûr, et j'ai pu y grandir avec des personnes qui sont devenus ma famille, la seule qui ait jamais compté en réalité...

- Lucas... soufflais-je.

Voilà qui ressemblait à de l'honnêteté pure. Je ne m'attendais pas à avoir ce genre de conversation ce soir, et encore moins avec Lucas. Au cours des derniers mois je l'avais aimé, détesté et pardonné. Ce soir, pour la première fois depuis bien longtemps, j'avais l'impression d'entrevoir celui que j'avais toujours connu.

- Ne t'arrête pas, je t'écoute, fis-je pour l'encourager.

- Vous tous, vous êtes devenu ma famille et au lieu de faire état de cette chance, je suis resté bloqué sur l'idée que je devais atteindre le meilleur grade possible pour enfin avoir de la valeur, pour mériter l'amour de la famille qui m'a abandonné. Je crois que ça me trottait dans un coin de la tête depuis bien longtemps, que c'était inconscient en quelque sorte, mais nous étions pour ainsi dire coupé du monde dans notre Ecole alors tout allait bien, je ne pensais pas encore à la vie en dehors de l'Ecole. Puis est venu le moment des tests et des sélections pour savoir qui pourrait intégrer l'Institut, et quand...

Sa voix s'éteignit avant qu'il ne finisse sa phrase. Je posais ma main sur son épaule pour lui montrer un peu de soutien.

Cette partie des jardins étaient sombres mais le ciel était dégagé et la lune nous offrait une belle lumière argentée qui me permettait d'y voir très clairement. Ses yeux brillaient et une larme solitaire coulait le long de sa joue. Je lui pressais de nouveau l'épaule sans un mot. Cela lui pris un peu de temps mais il finit par se ressaisir et reprit en me regardant dans les yeux.

- Quand j'ai compris que je n'intégrerais pas l'Institut à vos côtés j'ai tout simplement paniqué. A ce moment la force armée m'est apparue comme l'échappatoire parfaite, et être membre de la Garde c'est l'assurance de devenir un Grade 3. C'était tout simplement parfait ! Mais en faisant ce choix je n'ai pas réfléchi aux conséquences que ça aurait pour moi, mon futur, mon entourage... Pour toi. C'est sûrement la chose la plus égoïste que j'ai jamais faite.

Il fit une pause le temps de me laisser intervenir, mais je ne savais pas quoi dire. Tout ceci était tellement étrange. J'étais passée à autre chose, j'en étais certaine, et pourtant l'entendre parler de tout cela ne me laissait pas insensible. J'avais l'impression qu'une vieille cicatrice recommençait à me démanger. Des souvenirs particulièrement douloureux refaisaient surface sans que je sois capable de les en empêcher et je détestais cette sensation. Je détestais que de simples mots aient autant de pouvoir sur moi. L'incompréhension face à sa décision de partir malgré notre promesse de rester ensemble, ce sentiment d'abandon quand je m'étais retrouvée seule à l'Ecole après leur départ à tous, puis la solitude, à l'Ecole dans un premier temps puis à l'Institut. La difficulté de se fier à de nouvelles personnes et de comprendre ce monde dont je ne connaissais pas grand-chose puis cette rencontre dans l'ascenseur avec un certain Filip... Mes yeux se firent troubles. J'avais peut-être relégué ces souvenirs dans un coin de ma tête mais j'avais beaucoup souffert de tout cela. Il m'avait fait tellement de mal ! 

Peut-être aurais-je dû l'interrompre. Peut-être aurais-je dû l'empêcher de soulager sa conscience. Mais j'avais envie d'entendre ce qu'il avait à me dire, une part de moi pensait en avoir besoin. Alors je ne dis rien.

GraceBlackeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant