La large porte s'ouvrit enfin et une trentaine de jeunes femmes remonta l'allée centrale pour rejoindre notre directrice. Elles portaient toutes l'uniforme, le même que nous au détail près que leur foulard était d'une couleur différente. Je gigotais d'impatience sur ma chaise et Audrey me pressa de me calmer. Je tendis le cou un peu plus encore et je fini par apercevoir sa crinière blonde : Charlotte.
La directrice Davis nous présenta une à une les nouvelles arrivantes puis énuméra nos vingt prénoms en nous demandant de nous lever pour qu'elles puissent nous identifier. Je doutais que cela soit réellement utile, il y avait peu de chance qu'elles les retiennent tous du premier coup, mais c'était très attentionné de sa part prendre le temps de le faire.
Madame Davis enchaina sur le programme des jours à venir : révision du protocole, cours de danse, leçon d'étiquette, cours de danse, derniers essayages de nos tenues et davantage de cours de danse. J'étais tout à fait ravie, j'avais toujours aimé la danse, et si j'étais au départ septique j'avais fini par réellement apprécier ces fameuses danses protocolaires. Il y avait quelque chose de poétique dans la façon dont tous les danseurs exécutent les mêmes mouvements au même moment. Une certaine harmonie, un charme indescriptible.
On nous pria enfin d'accueillir les autres étudiantes de niveau 2 le plus chaleureusement possible avant de nous libérer pour la soirée. Je partis aussitôt à la rencontre de Charlotte qui se jeta presque dans mes bras. Je ne l'avais pas vu depuis la fin de l'été - une éternité donc.
Elle prit mon visage dans ses mains et le balaya de ses yeux clairs.
- C'est bien toi, conclu-t-elle, tes cheveux ont poussé mais c'est bien toi Ann !
- Evidemment, riais-je en la serrant de plus belle.
Elle avait changé. Ses cheveux aussi étaient plus long, mais il y avait autre chose. Elle irradiait d'une énergie presque solaire, elle avait l'air d'aller tellement bien que je ne pouvais m'empêcher de sourire.
Nous nous assîmes pour discuter alors que les autres se mélangeaient pour faire connaissance. Je me sentais un peu mal de ne pas faire de même mais nous avions besoin de nous parler un peu en privé avant de nous mêler aux autres. Nous étions encore là, ma main dans la sienne, quand la salle se vida.
- Donc tu as eu de ces nouvelles depuis que tu es arrivé à Europa ?
- Oui, principalement par mail. J'ai décidé de faire des efforts. Lucas est ce qu'il est, et tu sais à quel point il m'a déçu, mais il fait aussi partie de ma famille. Il reste cher à mon cœur et je ne veux pas le perdre. J'espère que tu me comprends.
- Je n'ai jamais été trop proche de lui mais nous avons tous grandis ensemble, alors oui je comprends, sourit-elle. Audrey ! Estelle ! Quel plaisir de vous voir enfin en personne ! s'exclama-t-elle en voyant les filles s'approcher.
Elles nous informèrent que le groupe était allé faire le tour de l'établissement et n'avait pas osé interrompre nos retrouvailles. Nous fîmes donc notre propre tour du propriétaire pour Charlotte. Mes amies riaient et plaisantaient comme si elles se connaissaient de longue date et je dois avouer que je ressentais une certaine fierté en constatant qu'elles s'entendaient si bien.
- Et enfin, fit Estelle en indiquant la porte numéro 14, notre chambre !
- Le meilleur pour la fin, rit Charlotte en entrant, nous sur les talons.
- Rien de bien passionnant, conclu Audrey avec un sourire désolée. A part peut-être ça ! dit-elle en découvrant l'ouvrage posé sur mon lit. Serait-ce le manuel sur le braille ?
- Oh oui ! Je l'avais presque oublié !
- Qu'attends-tu ? rit-elle, sors le carnet pour qu'on puisse enfin savoir de quoi il est question !
Elles s'installèrent toute autour de mon lit et nous nous mîmes au travail. Audrey feuilletait le manuel avec attention en nous énonçant les informations qui lui semblaient dignes d'intérêts.
- Il existe une version abrégée du braille, ce qui permet aux utilisateurs de lire et écrire plus rapidement. Pour ce qui est du code braille classique, il s'agit d'un alphabet. Chaque lettre correspond à une combinaison de six points en reliefs. Ces points sont répartis sur deux colonnes de trois lignes. Ils se lisent par colonne et sont numéroté 1,2,3 pour la première et 4,5,6 pour la seconde. Hum... ce sera plus simple si je vous montrais.
Elle prit une feuille de papier et y dessina six petits ronds alignés sur deux colonnes, à la façon d'un domino en nous indiquant qu'il s'agissait de la base de chaque symbole. Elle remplit ensuite le premier cercle en haut à gauche.
- J'ai colorié le point 1 ce qui crée le symbole correspondant à la lettre "a". Si j'ajoute le cercle qui se trouve en-dessous, le 2, on obtient un "b". Donc la lettre "a" se lit 1 et le "b" 1-2. Maintenant le "f" se lit 1-2-4, précisa-t-elle en remplissant le premier rond en haut à droite.
- Je pense avoir compris, acquiesça Estelle. Chaque rond porte un numéro et une combinaison correspond à une lettre ? Je crois que mon père m'en a déjà parlé.
- Eh bien si vous pouvez me donner les combinaisons je pourrais vous donner les lettres.
- Je peux ? demanda Charlotte en désignant la feuille.
- Bien sûr oui.
Elle plaça la feuille au-dessus du carnet et fis pression avec le crayon de papier en remplissant la totalité de la page. Tous les points en reliefs apparurent clairement sous ses coups de crayons, nous permettant de déchiffrer le fameux code .
La tâche était plus ardue que ce que je m'étais imaginée. Chaque symbole correspondait à une lettre et non à un mot, sans aucune ponctuation, si bien qu'une fois le tout déchiffré nous avons obtenu une suite de lettre sans signification évidente. Je grimaçais en observant le résultat.
e l l o g e s l u b i e s l o y a l i s t e s e l d o r a d o e p h e m e r e s s o n t t o u t e s c h o s e s e x c e p t e e s l e g a l e s l i c i t e s e n c o r e q u e u n e c h o n o t r e o b j e c t i f u n a n i m e me n t s o u t e n u c o m m e h i e r e n v a h i s s a n t e r e g e n c e c o m m e h i e r o r i g i n e n u l l e m e n t s a l v a t r i c e
- Je reconnais bien des mots mais je n'arrive pas à former une phrase qui ait du sens...
Mes amies acquiescèrent de concert.
- Éloges, lubies, loyalistes, eldorado, éphémères... énuméra Estelle.
- Il y a ensuite des verbes, ce qui forme des passages à peu près plausibles, précisa Audrey, "sont toutes choses exceptées légales" par exemple.
Nous restâmes un instant silencieuses, à la recherche d'associations cohérentes, mais je ne parvins qu'à détecter des mots qui ne me permettaient pas d'obtenir une phrase correcte. Je commençais à désespérer quand Charlotte se leva brusquement.
- Et si c'était un poème ?! Ce serait possible n'est-ce pas ? Rien n'indique qu'il s'agisse d'un texte classique avec sujet-verbe-complément. Or en poésie les règles de syntaxe ne sont pas toujours respectées.
Nous avons donc formé les mots qui nous venaient naturellement puis les avons organisés pour découvrir un texte ressemblant en effet à un poème.
Eloges, lubies loyalistes, eldorado éphémères,
Sont toutes choses exceptées légales, licites.
Encore que,
Un écho,
Notre objectif unanimement soutenu.
Comme hier, envahissante régence,
Comme hier, origine nullement salvatrice.

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GraceBlacke
Roman pour AdolescentsSuite à de nombreuses guerres, la monarchie a été réinstaurée en Europe. En prévision d'une énième guerre, les Etats européens ont choisi de créer un seul et unique Royaume, plaçant la famille GraceBlacke à la tête de toutes les autres. Cette fa...