Chapitre 39 - Conversation nocturne

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Depuis ma discussion avec Lucas je n'avais qu'une idée en tête, parler avec Johann. Mais, alors que nous avions passé beaucoup de temps ensemble ses derniers jours, je ne la vis presque pas de la semaine et, quand je la croisais, elle était toujours occupée ou très entourée. Je finis même par croire qu'elle m'évitait délibérément. A cela s'ajouta le nouveau test que nous avions passé cette semaine. Je l'avais plutôt réussi puisque j'avais pris le temps de réviser après que la documentaliste et le Général Dinler y aient fait allusion, c'était presque comme s'ils m'en avaient volontairement informé... Étrange n'est-ce pas?

Un soir, alors que je n'arrivais pas à trouver le sommeil, je vis Johann quitter le dortoir. J'hésitais une demi-seconde avant de me lever et de la suivre le plus discrètement possible. Les couloirs étaient plongés dans l'obscurité et étaient plus que silencieux, alors j'avançais sur la pointe des pieds. Johann, qui me devançait de quelques mètres, emprunta les escaliers jusqu'au rez-de-chaussé. Là, elle se glissa derrière le comptoir de l'accueil d'où elle sorti une petite pochette en plastique. "Tu peux te montrer"

Je sursautais lorsque sa voix brisa le silence, mais je ne bougeais pas pour autant. Elle soupira. "Comme tu veux, mais tu peux te joindre à moi. J'ai cru comprendre que tu voulais me parler..."

A ses mots je me montrais mais elle s'éloignait déjà vers le patio. Je l'y rejoignis et m'installais à ses côtés sur le muret où elle était assise. Je la regardais sortir une fiole en métal de la pochette et avaler une gorgée de son contenu en fronçant les sourcils.

- Alors, commença-t-elle, qu'est-ce que tu avais à me dire?

- C'est, hum, un peu délicat...

- Si c'est pour me dire que tu as embrassé Filip...

- Il m'a embrassé! la coupais-je pour de me défendre.

- Et plus d'une fois! rit-elle avant d'avaler une nouvelle gorgée.

Je l'observais un instant. Elle savait ce qui s'était passé entre "Filip" et moi mais ça ne semblait pas la déranger plus que ça. Il me sembla tout à coup que la Johann qui m'avait accueilli le jour de mon arrivée était bien loin.

- Eh oui! reprit-elle, je suis au courant pour vos petits rendez-vous clandestins.

- Je suis désolé.

- Je ne vois pas pourquoi. Dès le moment où je vous ai vu tous les deux, debout dans le hall, j'ai compris qui tu étais. Il m'a parlé de sa vie avant l'Institut et de cette fille dont il était raide dingue... alors quand je vous ai vu j'ai su.


- Waouh... je restais un instant sans voix, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il lui ait parlé de moi. A ce sujet, il y a quelque chose que j'aurai dû te dire depuis longtemps, que j'essaye de te dire... Ecoute ça va peut-être te sembler dingue mais heu... Il ne s'appelle pas Filip.

- Ouais... je trouve aussi que ça ne lui va pas tellement... Elle ne m'écoutait pas, ce n'est pas ce que je voulais dire! Elle avala une autre gorgée et reprit. Tu sais ce qui lui irait super bien? Lucas! Tu ne trouves pas?

Je manquais de m'étouffer.

- Quoi? Pourquoi? demandais-je.

- Parce que c'est comme ça qu'il s'appelle, n'est-ce pas?

- Tu le savais?

- Bien sûr. Elle avala de nouveau. Moi et Pierre. Peut-être que John et David le savent aussi, mais rien n'est moins sûr. Et Nina.

J'avais du mal à comprendre ce que Nina venait faire là, mais les paroles de Pierre me revinrent à l'esprit: "elles sont bonnes amies". En plus elle était déléguée, ce qui lui donnait peut-être accès à certaines informations.

- Je vois bien que quelque chose ne va pas... Ce n'est peut-être pas mes affaires, mais j'aimerai comprendre.

- L'autre jour tu m'as dit que je pouvais te parler, alors parlons! Tiens, elle me tendit sa fiole, tu en aura autant besoin que moi.

Je fus surprise par sa réaction, je m'attendais à ce qu'elle se renferme. J'acceptais sa flasque que je portais à mes lèvres, son contenu me brûla la langue et la gorge, ce qui me fit tousser.

- Par où commencer? Tu as rencontré mon père! Je dirais que tout vient de lui... Il voulait un deuxième fils, au lieu de quoi il m'a eu moi. Alors il aurait pu faire avec une fille mais, hum... une fille qui aime les filles c'était trop dur à supporter pour lui...

Je ne m'attendais pas à ce genre de révélation, mais je ne voulais pas créer de malaise, alors je l'encourageais.

- Ne t'arrêtes pas, souriais-je.

- Eh bien, quand il a compris il a cherché à "régler le problème". Il est strict, c'est dans sa nature, mais avec moi il l'est plus qu'avec Pierre. Quand j'ai finalement obtenu une place ici j'étais euphorique ! Mais j'ai rapidement compris que, peu importe que mes résultats soient bons ou mauvais, je ne changerais pas d'établissement au prochain cycle institutaire. Et j'avais raison. Je suis coincé ici. Mon seul réconfort est d'avoir été dans le même établissement que mon frère pendant quelques années, et je suis sûr que c'est de son fait...

- Comment est-ce possible? L'Institut est censé être indépendant...

- Je sais oui, mais mon père a beaucoup d'influence! Il est de la Garde, le grade 3, mais il fréquente les hautes sphères. Et moi je suis impuissante.

- Et Lucas?

- Dommage collatéral ? Il a rencontré le Général pendant sa phase de test je crois. Il lui a fait miroiter tout un tas de chose et surtout ce que Lucas voulait plus que tout...

- ... bien sûr, entrer à l'Institut, finissais-je.

- Oui. En échange, il se présente à mon bras dès que mon père le lui demande. Ça ne paraît pas si terrible comme ça mais qu'en sera-t-il quand nous serons en âge de quitter l'Institut, de travailler, de... elle s'interrompit, troublée.

- De vous marier et de fonder une famille? demandais-je.

Je prenais la mesure de ce que cela signifiait pour Johann, mais également pour Lucas et plus fatalement pour nous. Il n'y aurait définitivement plus de nous. J'avalais plusieurs gorgées du breuvage avant de lui tendre, elle s'en empara aussitôt. Je ne sais pas à quoi cela était dû, ces révélations, l'idée que Lucas était désormais lié à une autre, ou le contenu de la flasque, mais la tête me tournait. Je ne me sentais pas bien. J'avais du mal à respirer et comme un poids sur la poitrine. Il fallait que je sorte de là ! Je retournais dans le hall au pas de course, Johann sur les talons. Je me précipitais sur les portes mais elles étaient verrouillées, je ne pouvais qu'apercevoir la rue déserte au travers des baies vitrées. Je secouais la poignet vigoureusement mais Johann m'interrompit : "Est ce que tu essayes de réveiller tout l'Institut?!"

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Le nouveau chapitre est là ! Un peu plus long que d'habitude alors profitez-en ;)

J'attends vos retours, n'hésitez pas à voter ou commenter, je vous répondrais avec plaisir :)

GraceBlackeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant