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Le pire, avec la dépression, c'est que même lorsqu'on pense avoir touché le fond, il reste toujours un espace plus sombre, plus froid où sombrer encore. La chute ne s'arrête jamais, et c'est une agonie lente et insidieuse. Shearazad se sentait glisser inexorablement dans ce gouffre béant qui l'attirait vers ses abîmes, les tirant de plus en plus loin de tout ce qui pourrait ressembler à une lumière, à une issue. Chaque jour devenait indistinct, se fondant dans le suivant avec la même texture grise et désespérée. Les heures s'écoulaient, mais pour elle, il n'y avait pas de temps, seulement cette douleur omniprésente, ce poids qui lui écrasait la poitrine.

Le monde continuait de tourner sans elle, mais tout ce qu'elle voyait, tout ce qu'elle ressentait, c'était sa souffrance qui devenait chaque jour plus oppressante. Elle se noyait dans le vide, un vide si épais qu'il l'étouffait. Ce n'était pas seulement l'absence de bonheur ou de paix, c'était l'absence de tout : de désir, de sensation, de couleur. Elle ne vivait pas, elle survivait à peine, habitant une coquille vide où le moindre effort, le moindre mouvement semblait démesuré.

Elle ne parvenait pas à imaginer un lendemain, ni même une heure suivante. C'était comme être engloutie dans un marécage de noirceur où chaque respiration, chaque pensée semblait aspirer un peu plus de son énergie déjà vacillante.

Les rares fois où elle avait essayé de manger, elle n'avait fait qu'enfoncer le clou de son mal-être. Une bouchée de pain, une gorgée de soupe—à chaque tentative de laisser passer un aliment, son corps réagissait comme s'il y voyait un poison. Son estomac se tordait de douleur, refusant de tolérer quoi que ce soit. Quelques heures plus tard, tout ce qu'elle avait essayé d'ingurgiter était violemment rejeté.

C'était comme si son corps, en écho à son esprit meurtri, refusait lui aussi de reprendre des forces. Comme si même ses organes intérieurs, les plus essentiels à la vie, avaient décidé qu'ils ne voulaient plus rien ressentir. Le moindre nutriment semblait un affront à cette souffrance qu'elle portait en elle. Chaque tentative avortée de se nourrir devenait une métaphore brutale : sa chair, comme son âme, ne voulait plus de la vie.

Elle sentait ce refus viscéral, une sorte de mutinerie interne où chaque cellule, chaque fibre, s'accordait à ce sentiment de vide absolu. Elle se rendait compte que son propre corps conspirait contre elle, se liguant avec son esprit pour s'enfoncer plus profondément dans ce gouffre noir. Il ne restait plus que la sensation lancinante de faim et de faiblesse, une sensation qui ne la quittait jamais vraiment, un rappel constant de son état déliquescent.

La porte de sa chambre s'ouvrit doucement, une fente de lumière s'y glissa, déchirant l'obscurité épaisse qui enveloppait Shearazad. Les rayons vacillants trahissaient l'heure du jour—peut-être le matin, peut-être déjà l'après-midi. Elle n'en savait rien et n'en avait cure. Les jours se fondaient les uns dans les autres, chaque heure se diluant dans la suivante comme des encres sombres sur du papier humide. Elle se retourna lentement, dos à la porte, refusant d'affronter le monde ou quiconque avait décidé de la troubler.

Des pas feutrés s'approchèrent de son lit, et elle sentit l'affaissement délicat du matelas sous un poids étranger. Une main douce s'aventura dans ses cheveux emmêlés, les caressant avec une tendresse presque oubliée, comme une tentative d'apaiser une bête blessée.

« Joyeux 17ème anniversaire, Shearazad, » murmura Alicent, sa voix chargée de compassion, de cette tristesse infinie que les mères portent pour leurs enfants brisés.

La dépression a cette particularité cruelle : elle grignote la notion du temps comme un feu qui consume les heures et les jours, les transformant en cendres indistinctes. Shearazad se sentit soudain basculer. Dix-sept ans... La dernière année semblait à la fois éternelle et fugace, comme un rêve obscur dont on ne peut s'échapper. Elle avait perdu la maîtrise des saisons, des mois, même des minutes. Son esprit, emprisonné dans cette mélancolie oppressante, ne se souvenait plus de ce que signifiait vraiment le passage du temps.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant