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La nuit était tombée, enveloppant la petite ville dans une obscurité douce et tranquille. Les étoiles parsemaient le ciel d'une lumière argentée, mais c'était le croissant de lune, pâle et distant, qui éclairait doucement le visage de Shearazad. Elle se préparait à monter Blue, sa dragonne, pour retourner au Donjon Rouge. La dame bleue, massive et imposante, semblait s'être assoupie en l'absence de sa maîtresse, ses écailles luisant d'un éclat saphir sous la lumière nocturne. Un grondement sourd se fit entendre à mesure que Shearazad s'approchait, une sorte de murmure, comme un ronronnement provenant des entrailles du dragon, signe de leur lien indéfectible.

Pourtant, ce soir-là, il y avait quelque chose de différent chez Shearazad. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait trouvé un semblant de paix, un répit loin des intrigues et des conflits incessants de la cour. La taverne avait été pleine de vie ; le rire des villageois avait réchauffé son cœur, bien qu'il n'ait jamais réussi à faire fondre entièrement la glace qui l'enserrait depuis si longtemps. Elle avait partagé un repas, un rire, même une chanson maladroite avec ces gens du petit peuple qui n'avaient aucune idée de la douleur qu'elle portait en elle. Et pendant quelques instants volés, Shearazad avait senti quelque chose se détendre en elle, quelque chose qu'elle avait pensé disparu depuis des mois.

Ces villageois ne la craignaient pas parce qu'ils n'avaient pas encore appris à la craindre, ou peut-être parce qu'ils étaient simplement ignorants des complexités de la cour. Ils ne lui souriaient pas par devoir ou par calcul ; leurs sourires étaient sincères, sans arrière-pensée, et leurs gestes n'étaient pas dictés par la politique. Ils riaient avec elle comme avec l'une des leurs. Shearazad, en retour, se sentait momentanément humaine, fragile, mais vivante. L'innocence de ces gens lui avait offert une échappatoire, une brève illusion de simplicité.

Alors que Shearazad posait sa main sur les écailles froides de Blue, prête à repartir, une voix douce et enfantine perça l'air tranquille de la nuit. « Ma princesse... » La voix, fragile comme un souffle de vent, interrompit ses pensées. Shearazad, le regard impassible mais les sens en alerte, tourna la tête vers l'origine de cette interruption. Ses yeux se posèrent sur une petite fille, frêle et timide, dont la chevelure blanche scintillait comme un voile sous la lueur lunaire. Une bâtarde Targaryen, comprit-elle immédiatement. Le sang du dragon coulant dans ses veines, mais sans la légitimité de son nom ou la sécurité de sa naissance.

Le cœur de Shearazad se serra imperceptiblement, un pincement qu'elle ignora presque aussitôt. Elle avait l'habitude d'étouffer ce genre de réaction. La compassion était une faiblesse qu'elle ne pouvait plus se permettre. Pourtant, la vision de l'enfant, avec son air incertain mais résolu, la frappa d'une étrange façon. C'était comme voir une version altérée de son propre passé, une version qui aurait pu être la sienne si les étoiles avaient été alignées autrement.

La petite fille tendit timidement une figurine en bois à Shearazad, ses petits doigts tremblants légèrement sous le poids de l'acte. La figurine représentait une jeune femme en train de danser, ses bras ouverts dans une élégance délicate, sa robe de bois sculpté semblant tourbillonner autour d'elle. Elle avait été sculptée avec soin, chaque détail minutieux donnant vie à l'objet : les plis de la robe, le léger mouvement des cheveux, l'expression sereine sur le visage.

« Tenez, gardez-la avec vous, » murmura l'enfant, l'innocence perçant sa voix comme une cloche dans le silence de la nuit. Il y avait dans ses yeux une sincérité désarmante, une bonté simple et dépourvue de jugement, comme si elle voyait au-delà de la dureté et de la froideur de la princesse pour toucher quelque chose de plus profond.

Shearazad resta immobile, fixant la figurine avec un air glacial. Son visage, figé comme du marbre, ne trahissait aucune émotion, mais en elle, les courants de pensées étaient en ébullition. Elle savait que cet acte, ce simple geste de gentillesse, était une invitation à ressentir, à se rappeler qu'il y avait autre chose que la haine et la vengeance. Mais elle s'était si longtemps murée derrière des barrières de glace et de feu qu'accepter ce présent semblait presque un acte de faiblesse.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant