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Les mèches de cheveux s'imprégnaient lentement du liquide sombre, coulant le long de sa chevelure avec une fluidité hypnotique. Shearazad, les yeux fixés sur le miroir terni devant elle, observait la transformation avec un calme glacé. C'était un acte délibéré, presque cérémonial, comme si elle abandonnait quelque chose de profond en elle, une identité qu'elle ne reconnaissait plus, qu'elle rejetait avec une résignation désespérée.

Chaque mèche qui passait de l'argenté éclatant du Valyrien au noir de jais semblait emporter avec elle un morceau de son ancienne vie, une vie où elle était encore innocente, ou du moins, où elle croyait encore pouvoir l'être. Ce n'était pas qu'un simple changement de couleur. C'était une rupture avec ce qu'elle avait été – une rupture avec la Shearazad que le Donjon Rouge connaissait, la princesse impétueuse au sang chaud, à la langue acérée et à la beauté glaciale de son lignage.

Sa servante, silencieuse et appliquée, continuait de plonger ses doigts dans la teinture, massant doucement la nouvelle couleur dans les boucles soyeuses. Elle ne disait rien, consciente que tout mot de travers pourrait provoquer la colère de sa maîtresse. Elle savait bien que Shearazad n'était pas du genre à pardonner, et ce soir, une tension particulière semblait flotter dans l'air. L'air était chargé de quelque chose de plus sombre que d'habitude, de quelque chose de presque tangible. Une sorte de rite de passage silencieux.

Shearazad sentait le poids de chaque mèche sombre tomber contre sa peau, lourde de signification. Elle savait ce que cela impliquait : il n'y aurait plus de retour en arrière. Avec chaque ombre qui gagnait ses cheveux, elle abandonnait un peu plus cette part de lumière qui avait toujours semblé rayonner autour d'elle malgré ses tourments. Elle savait ce que les autres diraient – les murmures dans les couloirs du château, les rumeurs qui fuseraient comme des flèches empoisonnées. « Shearazad a perdu la tête », diraient-ils. « Elle se prépare à un acte de trahison », insinueront-ils.

Mais elle s'en moquait. Le monde pouvait bien penser ce qu'il voulait. Ce n'était pas leur douleur qui battait à l'unisson avec la sienne, ce n'était pas leur vie qui se désintégrait entre leurs doigts comme du sable emporté par le vent. La transformation de ses cheveux était une déclaration silencieuse mais puissante – elle n'avait plus l'intention de jouer le rôle que l'on attendait d'elle. Elle ne serait plus l'épouse brisée qui attendait dans l'ombre que l'on daigne lui accorder un regard. Elle ne serait plus la princesse dragon soumise aux attentes et aux pressions de sa maison et de sa famille.

« Finissons-en, » murmura-t-elle, sa voix étrangement calme malgré la tempête qui grondait dans son cœur.

La servante acquiesça, continuant son travail avec une obéissance muette. Elle sentait le changement chez sa maîtresse, un changement qui ne venait pas seulement de l'extérieur. Une sorte de détermination froide, une résolution nouvelle, une Shearazad en guerre avec elle-même et avec le monde.

Le noir de ses cheveux contrastait maintenant avec la pâleur de sa peau, ajoutant une nouvelle intensité à son regard, comme si ses yeux s'étaient allumés d'un feu qu'ils n'avaient jamais eu auparavant. Une flamme sombre et redoutable. En se regardant dans le miroir, elle vit une étrangère – une étrangère qui portait son visage mais qui n'avait plus rien à voir avec la femme qu'elle était auparavant.

Ce soir-là, alors que la dernière mèche de cheveux blonds se noircissait, Shearazad savait qu'elle venait de franchir un point de non-retour.

« Je reviendrai dans une heure ou deux, laissez posé la teinture pour qu'elle imprègne bien les cheveux. » expliqua rapidement la jeune femme

Shearazad se contenta de rester silencieuse regardant la jeune femme s'éloigner, elle soupira d'agacement, un agacement qu'elle ignorait la source. Elle se leva et s'approcha du balcon son mélange d'herbes entre les doigts. Elle ne se cacher plus, lorsqu'elle fumait ses choses Shearazad ne prenait plus la peine de s'en cacher elle n'avait plus honte. Cela faisait partie intégrante d'elle, de la nouvelle elle. Elle laissa son corps s'asseoir sur le sol dur du balcon, la vue sur la lune, Selene briller d'éclat, alors qu'elle sombrait. Elle n'avait plus de larmes à verser, elle avait essayé de ré pleurer de nouveau, d'évacuer cette frustration mais même ses yeux semblait se lasser de cette torture constante. Alors son regard humide avait été remplacé par un regard froid, vide et sans émotion.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant