Elle n'avait rien avalé depuis des jours. Elle n'était pas sortie de sa chambre non plus, et presque jamais de son lit. Elle ne désirait voir personne; elle n'avait vu personne depuis l'incident avec Aemond, à part les brèves apparitions de Nimérya qui, avec le temps, se faisaient de plus en plus rares, à la demande de la princesse.
Une semaine s'était écoulée depuis la mort de son amie, une semaine s'était écoulée depuis le coup bas d'Aemond. Et pourtant, la douleur était encore là, sourde et implacable. Elle n'était pas en colère, ni triste, ni haineuse. Non, rien de tout cela. Elle avait juste mal. Une douleur si aiguë qu'elle devenait insupportable, telle une lame invisible qui tranchait son être. Elle aurait préféré mille fois se faire torturer, se faire battre, ou endurer n'importe quel supplice physique, car la douleur du corps finit toujours par s'estomper. On s'y habitue, on s'en lasse. Mais la douleur émotionnelle, celle qui s'insinue dans l'âme et vous arrache de l'intérieur, celle qui vous fait perdre la tête et sape chaque étincelle de vie... celle-là ne s'efface jamais vraiment. Cette douleur-là, elle sera toujours présente.
Allongée dans le lit froid, les rideaux tirés pour bloquer la lumière du jour, Shearazad fixait le plafond sans vraiment le voir. Chaque fibre de son être semblait consumée par ce chagrin muet, comme un feu sans flamme qui rongeait lentement sa chair et ses os. Elle entendait le bruissement de la vie autour d'elle — les serviteurs qui murmuraient derrière les portes closes, les pas pressés dans les couloirs, les chants lointains des oiseaux au dehors — mais tout cela lui paraissait étranger, comme appartenant à un autre monde, un monde où elle ne pouvait plus exister.
Chaque respiration lui pesait, chaque battement de cœur était une torture, comme si son corps se rebellait contre elle-même, refusant de la laisser oublier, même pour un instant, la gravité de sa perte. Parfois, elle imaginait que son âme quittait son corps, qu'elle flottait au-dessus de cette coquille vide qu'elle était devenue, et qu'elle observait de loin cette femme brisée, une étrangère au visage ravagé, aux yeux éteints.
Elle n'arrivait plus à penser clairement. Ses pensées tournaient en rond, piégées dans une spirale de souvenirs douloureux et d'images obsédantes. Elle revoyait sans cesse le visage de son amie, ses yeux ouverts sans vie, son sourire éteint à jamais. Et puis il y avait Aemond. Toujours Aemond. Ses mots, sa voix qui la hante, l'ombre de sa présence qui plane sur elle, tel un fardeau qu'elle ne peut se résoudre à déposer.
Elle n'était ni en vie, ni vraiment morte. Elle errait quelque part entre ces deux états, dans une sorte de purgatoire personnel où tout n'était que douleur et silence. Les larmes avaient cessé de couler il y a des jours, comme si son corps avait enfin compris l'inutilité de ce geste. Elle était vide. Un désert aride où même la pluie de ses pleurs ne parvenait plus à tomber.
Parfois, dans le noir de la nuit, lorsqu'elle sentait que la folie n'était pas loin, elle s'imaginait debout sur les remparts du château, le vent glacial fouettant son visage, ses pieds suspendus au-dessus du vide. Une seconde de chute, et tout serait terminé. Mais elle savait aussi que ce serait trop facile. Ce serait céder, et elle ne voulait pas donner à Aemond ce pouvoir sur elle.
Dans ces moments de clarté fugace, elle se répétait encore et encore : « tu n'as pas le droit de partir, pas encore. » Une promesse qu'elle n'arrivait pas à comprendre elle-même, une résolution ténue qui tenait à peine face à la douleur dévorante. Et pourtant, elle s'accrochait à cette pensée comme à un fil de soie tendu au-dessus de l'abîme.
C'est dans cette agonie silencieuse qu'elle demeurait, sans savoir quand, ou si jamais, elle en sortirait. La vérité, c'est qu'elle ne désirait même pas en sortir, car cela serait synonyme de guérison, et comment pouvait-elle espérer guérir alors qu'elle avait causé la mort de Tyana ?
Chaque fois que l'idée d'un répit lui effleurait l'esprit, une vague de culpabilité écrasante la ramenait aussitôt à l'obscurité. Se pardonner aurait été un crime, une trahison envers la mémoire de son amie. Si elle guérissait, si elle osait même imaginer une vie après tout cela, c'était comme si elle effaçait le nom de Tyana, comme si elle trahissait le souvenir de ses rires et de ses chagrins partagés. La souffrance était devenue une sorte d'hommage, la seule manière qu'elle connaissait de rester fidèle à la femme qui avait été son amie, sa sœur de cœur.
Elle était passée par toutes les étapes : l'obsession d'une rédemption pour son oncle. Elle croyait qu'il était encore récupérable, qu'il y avait quelque part en lui une étincelle d'humanité qui attendait de se raviver, un reste de la tendresse qu'elle avait connue enfant. Elle avait espéré, avec une ferveur presque religieuse, qu'un jour elle pourrait retrouver ce garçon qu'elle avait tant aimé, celui qui, autrefois, la faisait rire et rêver. Elle s'était accrochée à cette illusion, refusant de croire que tout était perdu.
Puis vint la colère. Une colère brûlante, dévastatrice, si intense qu'elle avait un jour songé à le tuer de ses propres mains. Elle en avait ressenti le poids, l'amertume, et le goût métallique dans sa bouche. Elle rêvait de vengeance, de faire justice par le sang, comme une louve enragée prête à déchirer celui qui avait osé profaner tout ce qui était sacré. Elle aurait sacrifié son âme sur l'autel de sa haine si cela pouvait le ramener à la raison, s'il pouvait voir à quel point il l'avait détruite.
Ensuite vint la haine, sombre et glaciale comme un hiver sans fin. La vengeance se fraya un chemin dans son cœur, une promesse qu'elle s'était faite, celle de lui rendre tout le mal qu'il lui avait fait. Elle s'était jetée à corps perdu dans cette spirale, persuadée que cela la libérerait, que lui faire payer, le dépouiller de tout ce qu'il possédait, pourrait alléger le poids sur son cœur. Mais la haine est un feu qui consume celui qui le nourrit. Elle n'avait rien apporté d'autre que des cendres. Et ces cendres avaient pris la forme de Tyana, l'amie tombée, le prix à payer pour cette guerre d'ombre et de poison.
Elle pensait que la haine serait le remède, que brûler tout sur son passage enlèverait cette douleur insoutenable qui lacérait son âme à chaque souffle. Elle s'était trompée. Rien n'avait changé, sinon en pire. Tout ce qu'elle avait tenté, tout ce qu'elle avait espéré... Cela n'avait servi qu'à détruire ce qu'il lui restait de pur. Elle croyait avoir trouvé le chemin de la guérison en lui prenant tout ce qu'elle avait perdu, mais la réalité était bien plus cruelle : c'est elle qui avait tout perdu.
Elle pensait que la destruction pouvait être une forme de guérison, mais elle n'avait fait que rajouter à son fardeau. Elle dormait sans cesse, espérant échapper à la réalité dans des rêves qui ressemblaient de plus en plus à des cauchemars. Elle s'enfouissait sous ses draps, immobile, repliée sur elle-même, mimant le sommeil dans l'attente que Morphée daigne l'emporter une fois de plus, juste pour quelques instants de répit. Et cela, encore et encore et encore...
Elle errait dans ce cycle infernal, passant d'une émotion à une autre sans jamais trouver de repos. La colère, la haine, le désespoir, le vide... tout revenait la hanter, la ramener à ce point de départ, ce moment où le monde avait basculé et où tout avait été réduit en miettes. Plus de lumière, plus de chemin vers un futur meilleur. Juste cette douleur crue, permanente, celle qui l'étreignait chaque jour un peu plus fort, lui rappelant qu'elle était encore là, bien vivante, mais sans aucune raison de l'être.
VOUS LISEZ
LOCKED || AEMOND TARGARYEN•
FanfictionL'enfance, avec ses rêves naïfs et ses ambitions démesurées, constitue souvent les moments les plus marquants de notre existence. Les visions d'un avenir radieux, les espoirs de grandir et de conquérir le monde, ainsi que les fantasmes de romance et...