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Shearazad avançait avec une détermination qui ne masquait qu'à peine l'épuisement émotionnel qui l'habitait. Les derniers jours avaient été une lutte constante entre ses propres sentiments et la réalité d'un mariage qui l'étouffait. Tout en elle criait de colère, de frustration, mais aussi de tristesse refoulée. Le murmure qu'elle avait lancé à Ser Nate, évoquant l'idée de jeter Aemond du haut de la tour de Maegor, n'était pas seulement une boutade cruelle. Il symbolisait tout le poids de la déception accumulée.

Elle n'avait plus la force de chercher à comprendre, ni même à se battre pour un amour qui semblait s'être éteint. Pourtant, au fond d'elle, un doute subsistait : ce lien avec Aemond était-il vraiment mort, ou était-il simplement enterré sous des couches de malentendus, de fierté, et de non-dits ?

Depuis des jours, elle s'était isolée dans sa chambre, s'occupant des œufs de dragon comme si leur chaleur pouvait lui apporter le réconfort qu'elle ne trouvait plus dans son propre foyer. Chaque œuf représentait une partie de ses espoirs, mais également ses échecs. La perte de son enfant avait laissé une cicatrice ouverte qu'Aemond semblait ignorer, tout occupé qu'il était par les affaires du royaume. Et maintenant, il demandait un autre enfant, comme si c'était une simple formalité, un devoir qu'elle devait accomplir sans tenir compte de sa propre douleur.

« Peut-être que tu devrais aller le voir, » suggéra Nate avec une douceur qui contrastait avec la dureté de ses pensées.

Le dédain avec lequel elle le fixa ne masquait pas totalement la vérité : elle y avait pensé. Plus d'une fois. Le désir de lui parler, de crier, de le confronter sur tout ce qu'il lui avait fait subir, ne cessait de la tourmenter. Mais elle ne voulait pas paraître faible, pas encore une fois. Elle avait déjà fait un pas vers lui, elle l'avait supplié, elle avait essayé de comprendre. En retour, elle n'avait reçu que froideur et indifférence. Se jeter de nouveau dans ses bras reviendrait à trahir sa propre douleur, à nier sa souffrance.

« Plutôt sauter d'un pont, » répondit-elle avec sarcasme, essayant de dissimuler cette tentation sourde qui l'habitait. Elle ne voulait pas admettre à quel point la présence d'Aemond lui manquait, à quel point elle avait envie de comprendre pourquoi il s'était détaché d'elle, ou peut-être, pourquoi elle s'était détachée de lui en premier.

Nate la regarda d'un air plus sérieux, son sourire s'effaçant légèrement. « Si vous ne faites pas un pas vers lui, ne vous attendez pas à ce qu'il fasse le contraire. »

Ces mots frappèrent Shearazad plus fort qu'elle ne voulait l'admettre. Elle savait que Nate avait raison. Aemond, malgré toute sa dureté, n'était pas homme à céder facilement. Il ne montrait pas ses émotions, il ne savait pas comment s'ouvrir à elle. Mais cela n'excusait rien. Elle avait besoin de plus, de mieux, de quelque chose qu'il ne semblait plus capable de lui offrir.

« J'ai fait un pas, et il m'a laissée seule. Comme une grosse merde, en plein milieu de la fosse aux dragons, » répliqua-t-elle, sa voix cassée par une rancune profonde. Il l'avait abandonnée, encore et encore, lui laissant porter seule le poids de leur union défaillante.

Nate resta silencieux un moment, mesurant ses paroles avant de répondre. « Aemond est un homme fier, c'est vrai. Mais vous êtes probablement sa seule véritable faiblesse. Vous pourriez en faire une force. »

Shearazad secoua la tête, rejetant l'idée avec une véhémence qui cachait une vérité plus douce : la peur. La peur d'être blessée de nouveau, la peur de se voir dévalorisée, de n'être pour lui qu'un outil pour assurer la lignée. Elle ne voulait plus être cette femme soumise à son devoir, à la volonté des autres. Elle voulait se reconstruire, retrouver sa dignité, sa liberté.

« Non, » dit-elle, son ton tranchant. « Je ne veux plus avoir affaire à lui. Aemond et moi, c'est fini. Et cette fois, pour de bon. »

Sa voix, bien que ferme, tremblait sous le poids des émotions contradictoires qui l'assaillaient. Elle avait prononcé ces mots avec une détermination de façade, car elle savait que l'amour qu'elle portait encore pour Aemond ne disparaîtrait pas simplement avec une décision. Elle savait que quelque part, une partie d'elle espérait toujours que les choses changent, que la douleur s'efface, et que leur lien se renoue. Mais à cet instant, tout ce qu'elle ressentait, c'était une lassitude si profonde qu'elle ne pouvait plus continuer à lutter.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant