66

63 4 5
                                    

Elle planait.

En plein milieu de la nuit, au cœur du bois sacré, Shearazad était là, assise sur le sol humide et couvert de feuilles, mais son esprit s'élevait bien au-dessus des arbres, s'échappant de la prison de son propre corps. Elle avait inhalé, encore et encore, la fumée des herbes. Elle avait aspiré des grammes de poudre noire, d'une quantité incalculable, jusqu'à ce que la réalité elle-même commence à se dissoudre devant ses yeux dilatés. Elle avait enfin atteint ce qu'elle cherchait désespérément : un répit, une évasion.

Les drogues des herbes anciennes avaient fait effet, et pour l'espace d'un temps, juste quelques instants, elle revivait les meilleurs moments de sa vie. Comme un rêve éthéré, les souvenirs ressurgissaient avec une intensité poignante. Elle entendait les éclats de rire, sentait les bouffées de chaleur des exaltations et revoyait les sourires sincères, ceux qui illuminaient autrefois son visage et celui des autres. Elle se revoyait courir, légère et insouciante, sous le soleil éclatant des jours de bonheur, ceux qui lui semblaient appartenir à une autre vie.

Elle revoyait tout ce qu'elle avait été, tout ce qu'elle n'était plus. Ce que la douleur lui avait pris, chaque éclat de lumière que la noirceur avait éteint. Les jours d'innocence, où la vie était une promesse d'aventures, et non une chaîne de souffrances à supporter. Pour un moment, elle oublia les blessures du passé, ces plaies béantes qu'elle portait comme des cicatrices invisibles à l'âme. Elle oublia la vie qui lui avait été arrachée, la petite vie fragile de son enfant, emportée par une cruauté qui dépassait son entendement. Elle oublia les mains sales qui lui avaient volé son honneur, son corps et sa vertu, laissant une empreinte brûlante de honte et de rage. L'espace d'un temps, elle oublia tout.

Elle était là, mais elle planait. Au-dessus de ses peines, au-dessus de ses maux, sans vraiment réaliser qui elle était. Les poids des exigences, de son nom, de son rang, quittant ses épaules pour quelques instants précieux. Elle était libre de tout, sauf de ses propres pensées, et même celles-ci semblaient se défaire comme de la brume au vent.

Dans cet état de flottement, Shearazad sentit pour la première fois depuis longtemps une forme de paix, un apaisement qui venait avec l'oubli, avec la dissolution de tout ce qui la liait au monde réel. Elle ne sentait plus la douleur constante dans sa poitrine, ni la tension dans ses muscles. Elle ne percevait plus le fardeau des attentes, ni la froideur des regards de ceux qui murmuraient dans son dos. Elle n'était plus la princesse enragée et brisée, ni la mère endeuillée. Elle n'était qu'une âme dérivant dans l'éther, au-delà de tout ce qui pouvait la blesser.

Mais cette paix, fragile et éphémère, n'était qu'une illusion. Elle le savait quelque part, profondément enfoui sous le voile des drogues. Elle savait que cette légèreté ne durerait pas. Que les souvenirs heureux qu'elle revivait n'étaient que des ombres appelées par son esprit affamé de réconfort. Que bientôt, le monde réel reviendrait la chercher, avec sa douleur, sa rage, et ce vide sans fond qui l'avait poussée à chercher l'oubli.

Pour l'instant, cependant, elle se laissa aller. Elle laissa son esprit errer parmi les étoiles imaginaires et les souvenirs dorés, même si ce n'était que pour quelques battements de cœur. Ici, dans l'obscurité du bois sacré, Shearazad était seule avec elle-même, libre de tout ce qui l'enchaînait, mais aussi terriblement, irrémédiablement perdue.

Elle était assise, le dos contre l'arbre centenaire dont l'écorce rugueuse creusait de légères empreintes dans sa peau. Ses yeux à moitié fermés fixaient un point vague devant elle, mais elle ne voyait rien, absolument rien. Ses paupières lourdes se fermaient avec douceur, s'ouvrant avec la lenteur d'un paresseux, comme si chaque battement de cils nécessitait une volonté qu'elle n'avait plus la force de convoquer. Elle semblait figée dans cet instant, quelque part entre le temps et la conscience, quelque part où tout perdait son sens, où même son malheur intense et déchirant n'était qu'une infime piqûre sur la peau, à peine ressentie.

C'était un endroit où il n'y avait qu'elle, perdue dans le noir total. Un vide béant, sans haut ni bas, sans passé ni avenir. Le monde extérieur, ses douleurs, ses peines, ses colères, s'était évanoui, l'abandonnant dans une solitude aussi profonde qu'une nuit sans étoiles. Et pour une fois, cela ne la dérangeait pas. Pour une fois, cette solitude ne l'oppressait pas. Il n'y avait plus de murs à briser, plus de chaînes à tirer, juste elle et ce néant silencieux.

Elle s'abandonna à cette obscurité avec une étrange acceptation, une résignation que même sa colère ne pouvait plus ébranler. Ses épaules se relâchèrent, et le poids qui pesait sur elles sembla glisser lentement, emporté par une fatigue émotionnelle plus puissante que tout. Le souffle de Shearazad s'apaisa, devenant presque imperceptible, se mêlant au murmure du vent à travers les branches du bois sacré.

Pour la première fois depuis très longtemps, elle ferma les yeux sans ressentir la brûlure des larmes ni le poids écrasant du chagrin. Loin de tout ce qui la rongeait de l'intérieur, elle goûterait enfin au repos, au vrai. Pas cette accalmie tendue où l'esprit erre toujours, hanté par des ombres du passé. Non, cette fois-ci, c'était différent. Un repos qui ne demandait rien en retour, ni force, ni courage, ni vengeance.

Ses pensées s'effaçaient comme du sable balayé par le vent, son corps devenant de plus en plus léger. Shearazad se laissa glisser dans cette torpeur enveloppante, une part d'elle sachant qu'au réveil, ses douleurs reviendraient, peut-être encore plus fortes, mais elle n'y pensait pas. Elle n'y pensait plus.

Elle était enfin libre, ne serait-ce que pour un instant, de tout ce qui la hantait. Et dans cet instant fragile et éphémère, Shearazad trouva un soupçon de paix, ce calme tant recherché, si rare, même si elle savait que ce n'était qu'un rêve, une illusion. Le noir la prit complètement, l'enveloppant dans une étreinte douce et silencieuse. Et pour la première fois depuis ce qui semblait être une éternité, elle se laissa tomber dans le sommeil, sans résistance.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant