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La nuit était tombée sur Port-Réal, et Shearazad n'avait plus jamais franchi la porte de ses appartements. Elle ne pouvait plus y retourner, elle ne voulait plus y retourner. À peine avait-elle passé le seuil qu'elle avait revu cette scène, celle où son cauchemar avait commencé. Les images surgissaient avec une vivacité douloureuse : le regard de son amie, large et désespéré, noyé de peur. Une terreur muette qui s'infiltrait en elle, la rongeant de l'intérieur. Elle s'étais sacrifiée, offrant sa vie pour Soraya, sans savoir qu'elle offrait aussi celle de son enfant à naître, brisant ainsi deux destins en une seule fois. Ce sacrifice, inattendu et cruel, était devenu le gouffre où se perdait l'esprit de Shearazad.

Soraya restait introuvable. La disparition de son amie avait arraché un pan de son âme déjà fragilisée. Dans sa douleur, Shearazad se sentait comme une île désertée, battue par les vents. Elle sentait que tous ceux qu'elle aimait s'éloignaient d'elle, comme si sa douleur les repoussait. Elle restait là, seule avec ses pensées troubles, en proie à ses démons intérieurs. Chaque visage familier devenait une ombre insaisissable, une silhouette qui s'effaçait au gré de son malheur.

Ses pensées, de plus en plus sombres, tournaient autour du vide. Cette idée la hantait, s'imposant à elle comme une mélodie funeste qui s'insinuait dans son esprit. Le vide l'attirait, tel un amant sombre et irrésistible, et chaque instant qui passait faisait grandir en elle l'envie de s'y jeter. L'idée d'y plonger devenait une danse macabre qu'elle était sur le point d'accepter. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que son esprit brisé ne cède et qu'elle ne dise oui, avant que le dernier fil qui la rattachait à la vie ne se rompe.

Elle était assise dans le jardin sacré, près de l'arbre centenaire, cet ancien gardien qui avait été témoin des joies et des peines de tant d'âmes avant elle. Le calme du lieu n'était qu'une nouvelle torture pour elle, une augmentation cruelle de sa douleur. Le silence qui régnait autour d'elle semblait appuyer sur ses blessures comme un poids insupportable. La nuit, froide et noire, l'enveloppait dans son manteau glacial. Les étoiles au-dessus brillaient de manière indifférente, leur éclat distant reflétant l'immensité du vide qu'elle ressentait en elle.

Ses pensées se figeaient quelque part entre la conscience et l'inconscience, entre la vie et la mort. Elle voyait ces deux chemins devant elle : l'un promettant un repos éternel, un sommeil sans rêve, sans cauchemar, l'autre un supplice sans fin, une errance sans répit. Les frontières entre ces deux états s'amenuisaient de plus en plus, et elle ne savait plus vraiment où elle se trouvait. Elle était suspendue dans cet entre-deux, un endroit où la douleur et l'espoir coexistaient dans une danse torturée.

Sous le ciel obscur de Port-Réal, le jardin sacré devenait le théâtre de son agonie intérieure. La brise nocturne faisait doucement frémir les feuilles de l'arbre centenaire, comme un murmure venu de temps anciens, mais aucun murmure ne pouvait apaiser le chaos de son cœur. Le monde entier semblait sombrer avec elle, emporté par le tourbillon de sa douleur, et l'ombre du vide continuait de l'appeler, encore et encore, une voix séduisante et cruelle qui promettait la fin de tout.

Elle leva à peine les yeux pour apercevoir la silhouette élancée qui s'approchait d'un pas lent et mesuré. Aemond s'immobilisa lorsqu'il reconnut celle qui, il y a une semaine à peine, riait aux éclats à ses blagues, celle dont le sourire sincère illuminait ses journées, celle qu'il aimait. Aujourd'hui, ce rire semblait appartenir à une autre vie, à un autre monde, et ce sourire avait disparu, remplacé par une ombre de douleur insondable.

Ils se fixèrent un instant, plongés dans un silence lourd, presque tangible. Le vent froid du jardin sacré soufflait entre eux, emportant les mots qui ne parvenaient pas à franchir leurs lèvres. Ni l'un ni l'autre ne pleurait, mais leurs yeux, vidés de tout éclat, en disaient long sur la profondeur de leur désespoir. L'air semblait chargé de tout ce qui n'était pas dit, de tous ces sentiments étouffés sous le poids de la perte.

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant