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Shearazad observait les domestiques déplacer ses affaires avec une froideur insoutenable. Son regard fixait chacun de leurs mouvements, mais son esprit était ailleurs, perdu dans un tourbillon de pensées sombres et chaotiques. Après une nuit sans sommeil, elle avait pris une décision : elle ne pouvait plus vivre dans ses anciens appartements. Chaque recoin, chaque ombre de cette pièce lui rappelait sa douleur, le poids de ses pertes. C'était comme si ces murs avaient absorbé son malheur, comme si l'air y était devenu lourd de souffrance. Elle avait donc donné l'ordre de tout déplacer, espérant, en changeant de quartier, échapper aux souvenirs qui la hantaient.

Les domestiques travaillaient en silence, jetant des regards furtifs à la princesse. Ils ressentaient la tension glaciale dans l'air, ce vide autour d'elle, cette présence presque fantomatique. Shearazad n'avait parlé à personne depuis le matin. Elle avait simplement ordonné que tout soit emporté, et ils avaient obéi sans poser de questions. Ils savaient qu'elle traversait une période de deuil et de détresse, mais la voir ainsi, si distante, si brisée, les mettait mal à l'aise.

L'après-midi était déjà bien avancé, et Shearazad n'avait pas quitté son bain. L'eau, devenue tiède, enveloppait son corps affaibli, mais elle ne bougeait pas. Elle restait là, le regard fixé sur le vide, ses yeux gonflés et rougis par les larmes qui, maintenant, ne coulaient plus. Elle ne sentait ni le froid de l'eau ni le poids du temps qui passait. Elle était comme absente, perdue quelque part entre le monde des vivants et le royaume des pensées tourmentées.

Son esprit, engourdi, revisitait sans cesse les mêmes scènes douloureuses : les pleurs, la peur, le sacrifice de son amie, la perte de son enfant. Elle se noyait dans ses souvenirs comme elle se noyait dans cette eau immobile, incapable de se libérer. Tout ce qu'elle voulait, c'était que le monde s'arrête, que le temps cesse de la torturer avec sa lenteur insupportable.

Un serviteur, inquiet de son silence prolongé, se risqua à frapper doucement à la porte de la salle de bain. « Princesse... tout est prêt dans vos nouveaux appartements. Désirez-vous autre chose ? »

Il n'y eut aucune réponse. Shearazad ne tourna même pas la tête. Le serviteur attendit un moment, puis se risqua à entrouvrir la porte. Il la vit, immobile dans l'eau, son visage inexpressif, vide de toute émotion. Son cœur se serra à la vue de cette femme qui, autrefois, était pleine de vie, d'amour et de rires.

« Princesse... » reprit-il timidement. « Le bain est devenu froid. Peut-être devriez-vous... vous reposer ? »

Elle cligna des yeux, comme si elle sortait d'un rêve profond, puis détourna lentement la tête vers lui. Son regard semblait traverser le jeune homme sans le voir vraiment, comme si elle cherchait à retrouver le fil de la réalité. Mais elle ne répondit toujours pas. Le serviteur, mal à l'aise, s'inclina légèrement et recula, refermant la porte derrière lui. Il savait qu'il ne pouvait rien faire de plus.

Shearazad, seule à nouveau, sentit le poids de son corps dans l'eau tiède. Elle savait qu'elle devait sortir, mais l'effort lui semblait insurmontable. Tout semblait si futile, si épuisant. Le bruit des domestiques à l'extérieur, le froissement des draps déplacés, les murmures échangés avec prudence... tout cela lui parvenait comme un écho lointain, une réalité à laquelle elle ne se sentait plus attachée.

Peut-être, pensa-t-elle, que la douleur finirait par la submerger, et qu'elle cesserait de ressentir quoi que ce soit. Peut-être que le vide finirait par la prendre tout entière.

La porte s'ouvrît doucement dans un grincement qui réveilla la colère de Shearazad. Dans un élan de rage elle attrapa un vase qu'elle jeta avec force en direction de la porte. « J'ai dit que je ne voulais voir personne ! »

LOCKED || AEMOND TARGARYEN• Où les histoires vivent. Découvrez maintenant