Chapitre 26. « À quoi ça sert la vie, à voir ses frères partir ? »

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Le lendemain après-midi, dans le train, les événements de la veille tournaient en boucle dans ma tête.

J'avais fait un virement de cinq-mille euros à mon ami, histoire d'être large parce qu'on ne pouvait jamais faire confiance à des gens pareil.

Je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter. J'espérais qu'ils ne lui demanderaient pas plus d'argent et que ça n'allait pas finir en cercle vicieux.

Je n'arrivais toujours pas à croire que Tarek ai pu se mettre dans une situation pareille après tout ce que nous avions vécu. Nous n'en parlions plus mais quelques années en arrière, notre bande d'amis se composait de cinq personnes, nous nous suivions depuis l'enfance : Tarek, Hugo, Raphaël, moi... Et Ali.

J'avais rencontré Ali en foyer, alors que Raphaël avait été placé en famille d'accueil. Nous nous étions très rapidement rapproché, et il était vite devenu mon frère de foyer. À six ans, nous n'avions pas d'autre choix que de se serrer les coudes. Il m'avait aidé à surmonter l'absence de mon frère, et grâce à lui les six mois étaient passé très vite. Ali avait vécu six mois de plus en foyer, puis il avait été placé en famille d'accueil jusqu'à la fin. Il avait même été question pour sa famille d'accueil de l'adopter. En rentrant chez moi j'avais supplié mon père de le retrouver et quelques mois plus tard nous avions découvert que la famille d'accueil d'Ali vivait près de chez nous et qu'il allait faire son entrée en CE1 en même temps que nous et dans la même école. C'est ainsi qu'il fut intégré à notre groupe d'amis.

Ali était le plus petit de notre bande. Il faisait ma taille et je me sentais moins petite en sa présence. D'origine sénégalaise, il aimait plaisanter lorsque nous étions petits en disant que sa couleur plus foncée témoignait d'une intelligence plus prononcée, ce qui faisait selon lui de mon frère et moi les plus idiots du groupe. Je l'avais cru jusqu'à mes dix ans. Parce qu'Ali était le genre de personne de qui on buvait les paroles. Ils sortaient toujours des histoires plus farfelues les unes que les autres et on le croyait tous. Il avait un charisme qui empêchait quiconque de douter de ses propos.

Puis en grandissant nous avions compris qu'il n'était qu'un gros mytho, et en rigolions. Il aimait beaucoup lire et son bagou et son vocabulaire nous avaient sorti de plusieurs galères et nous avait sauvé de plusieurs visites au poste de police.

À l'adolescence, nous traînions dans plusieurs magouilles pas très claires pour se faire de l'argent facilement. Les garçons bicravaient beaucoup et j'étais guetteuse avec les petits de notre quartier. Puis Ali s'étaient enfermé dans d'autres magouilles encore plus douteuses, et de fil en aiguille s'était mis dans des galères desquelles ils n'avaient jamais réussi à ressortir. Il nous l'avait caché pendant plusieurs moi, et un soir, rongé par l'angoisse, nous avait tout avoué, sans omettre le fait que sa vie avait été menacée à plusieurs reprises.

Nous n'avions eu aucune marge de manœuvre pour l'aider à s'en sortir : seulement quelques jours après, il avait été poignardé par les personnes pour qui il travaillait. Nous avions seize ans. Il avait seize ans.

La version officielle avait été « Règlement de compte dans un quartier populaire dijonnais », et aucune enquête n'avait été ouverte.

C'était ainsi que nous avions perdu l'un de nos frères. La douleur avait été terrible pour nous quatre, et nous n'en avions reparlé qu'à de rares occasions, le sujet restant toujours très douloureux.

Après l'enterrement, nous avions passé un pacte pour se jurer de ne plus jamais tremper dans des affaires aussi sombre et avions tous les quatre arrêté nos activités habituelles. Nous ne gagnerions plus autant d'argent qu'avant, mais nous resterions en vie.

J'avais toujours des regrets énormes : si seulement nous avions tout arrêté avant, Ali, ses mythos et son sourire joueur seraient encore avec nous.

Jim MorrisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant