Chapitre 3-3

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Le soleil commençait déjà à décliner dans le ciel. Postée en haut des marches de l'entrée, j'observais le mimosa au fond de la cour. La réunion m'avait semblé durer une éternité. J'avais retranscrit sur mon cahier tous les noms de codes sous forme de symbole afin d'essayer de déchiffrer le thème de la discussion d'aujourd'hui. Camilia voulait un rapport complet, je ne me voyais pas lui donner une feuille blanche en lui disant que je n'avais absolument rien compris de ce qui s'était dit lors de cette rencontre entre monsieur Saleh et ses disciples. La sonnerie de mon téléphone me tira de mes pensées. Au plus profond de moi, j'espérais que ce fût Caleb. Un sentiment de déception m'envahit lorsque je vis la photo de ma mère s'afficher à l'écran.

— Bonjour, maman.

— Ma chérie, ça va ? Nous n'avons pas eu de tes nouvelles depuis que tu es partie de ta fête d'anniversaire, hier.

Je me pinçai les lèvres et me creusai la tête pour trouver une excuse qui pourrait me resservir plus tard. C'était hors de question que je lui dise que j'étais en ce moment même chez un certain Hamza Saleh avec un Khan.

— Hum, c'est vrai, je suis désolée. Je suis au studio. La chef de projet m'a annoncé que l'équipe aurait besoin de moi à temps plein pour quelques mois afin de terminer la saison commandée de "Minnie, la petite souris".

— C'est fantastique !

Ma mère était enthousiaste de cette nouvelle. De mon côté, cette façon de lui mentir me mit mal à l'aise, mais il me semblait plus intéressant de lui présenter les choses ainsi plutôt que de lui révéler la vérité.

— Et le salaire ?

J'essayais de prendre le ton le plus enjoué possible.

— Ils me proposent un salaire très confortable. Je pourrais vous aider pour les frais médicaux et le traitement d'Elio, mais la mauvaise c'est que je serais moins disponible pour le restaurant.

— Ne t'en fais pas pour ça. Nous sommes heureux pour toi. Tu aimes tellement ce travail. Je vais appeler tes tantes pour leur faire part de cette bonne nouvelle. Je vais pouvoir me vanter de quelque chose moi aussi.

Je fis une petite grimace avant de déclarer :

— Je passerais vous voir cette semaine. Embrasse Papa et Elio pour moi.

Je raccrochai rapidement puis fermais les paupières.

— Une brebis au milieu des loups.

La voix derrière moi me fit sursauter. Les tempes battantes, je me retournai vers celle-ci et vis un homme à peine plus vieux que moi, à la tenue impeccable et sûrement hors de prix, venir à ma rencontre.

— Les assistantes de Yeraz me donnent toujours cette impression. Je suis Lucas, l'avocat de la famille Khan.

Le jeune homme aux prunelles d'un vert profond me regardait de toute sa hauteur. Ses cheveux épais, coiffés de façon désordonnée et sa grosse barbe renvoyait une image sauvage qui me faisait penser à celle d'un Viking. Nous restâmes ainsi à nous regarder quelques secondes. Je ne bougeais plus, je ne respirais plus jusqu'à ce qu'un courant d'air frais me surprenne.

— Je suis Ronney Jimenez. J'attends monsieur Khan qui s'entretient en ce moment même avec monsieur Saleh.

— Il a donc écouté votre conseil.

Je levais un sourcil en l'interrogeant du regard.

— Dans le couloir, je n'étais pas loin de vous. J'ai entendu votre conversation avec Yeraz. Il a enfin une assistante compétente qui lui prodigue de bons conseils.

Je remontai mes lunettes, embarrassée par ce compliment. À l'avenir, je devrais être plus discrète. Mes yeux se posèrent sur son tatouage, derrière son oreille. Les numéros dans la bouche du serpent me firent comprendre que ce Lucas devait lui aussi appartenir à un clan.

— Ces réunions sont-elles fréquentes ?

L'homme m'adressa un regard curieux de côté puis répondit :

— Oui. Les Saleh travaillent en étroite collaboration avec les Khan. Les rencontres sont donc souvent nécessaires. Préparez-vous à de longues nuits blanches.

Était-il sérieux ou sarcastique ? À son ton, c'était impossible à deviner.

— Et tous ces gardes du corps à l'intérieur de la maison ? Est-ce vraiment indispensable ?

Après m'avoir considéré quelques instants, le regard de Lucas se posa sur le bloc-notes que je tenais contre moi. Il fronça les sourcils et déclara avec une voix qui avait perdu toute spontanéité :

— Toutes les personnalités importantes, influentes et connues ont un garde du corps dans ce pays. C'est plus souvent une question d'image. Vous êtes à ce poste depuis quand ?

— Aujourd'hui. C'est pour une durée de six mois.

Le jeune homme retrouva son demi-sourire du début.

— Personne ne reste à ce poste autant de temps, miss Jimenez. Vous finirez par partir avant, comme les autres. Yeraz n'est pas une personne qui garde ses employés très longtemps auprès de lui.

Je l'observais attentivement et constatais qu'il ne mentait pas. J'avais soudain du mal à avaler ma salive.

— Ses notes que vous tenez, c'est pour quoi ?

— Des rébus !

Ma boutade l'amusa. Un sourire lui prit toute la figure et pour la première fois de la journée j'arrivais à rire consciente que ma réponse n'était pas crédible une seule seconde. C'est alors que nous entendîmes la porte s'ouvrir brusquement. Nos regards se tournèrent vers l'entrée de la maison et nous vîmes Yeraz apparaître avec une prestance quasi aérienne comme irréelle, lunettes noires sur le nez. Miguel et Fares le suivaient de près. Il passa devant nous sans s'arrêter en prenant soin de saluer Lucas sur son passage. Celui-ci murmura quelques mots inaudibles en réponse à son bonjour puis me regarda en opinant la tête, l'air navré, avant de rentrer à l'intérieur de la demeure.

En bas des marches, Isaac, debout à côté de la portière, attendait que je rejoigne son boss. À ce moment, la peur revint m'envahir jusqu'à effacer tout le reste. Je soupirai. Il fallait tenir six mois. Six mois à ces côtés. Ça serait sûrement les mois les plus longs de toute ma vie !

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant