Chapitre 8-1

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Quatre semaines que je passais quasiment toutes mes journées avec Yeraz. Je venais de vivre le mois le plus étrange de ma vie au cours duquel j'avais gagné plus d'argent que mes vingt-cinq dernières années réunies. Malgré ça, mon salaire partait dans les soins d'hôpitaux et le nouveau traitement pour mon frère. Au bout du compte, je n'étais pas plus riche qu'avant.

Yeraz avait tenu sa promesse et passait tous ses samedi et dimanche avec moi. J'avais cependant constaté qu'on me témoignait plus de respect lors des fêtes de famille quand il était présent. Je n'avais que mes soirées pour souffler un peu. J'avais beau essayer de le semer ou de le planter dans Sheryl Valley, il arrivait toujours à me trouver. Je changeais mon emploi du temps, je coupai mon téléphone, mais c'était peine perdue. On aurait dit qu'une flèche géante clignotait au-dessus de la ville en indiquant exactement ma position. Son attitude condescendante et le ton de ses paroles laissaient entendre qu'il n'éprouvait envers moi aucune sympathie et ça ne s'arrangeait pas au fil des jours qui passaient. Les cours de Peter s'étaient intensifiées. Il se mettait chaque fois dans la peau d'un professeur tyrannique et ne me faisait aucun cadeau. Pourquoi les femmes s'infligeaient-elles cette torture ? Il me faudrait une vie entière pour apprendre marcher avec des escarpins aux talons vertigineux.

Ce soir, comme chaque soir, je fixai depuis mon lit le papier avec les coordonnées des Porter posé sur mon bureau. Je l'avais plié de façon à ce qu'il prenne la forme d'un cygne, un cygne comme Daphné. Rester ou partir, la balance pesait plus lourd d'un côté que de l'autre et demain, j'avais décidé de donner ma démission.

Comme chaque vendredi je revenais du pressing, les bras chargés de chemises. Je montai à l'étage, dans la chambre de Yeraz pour y ranger ses affaires. J'avais toujours peur de le trouver là ou de le surprendre au lit avec une femme. Mon imagination était sans limites et souvent en roue libre. Pourtant, je savais bien qu'il passait le plus clair de son temps dans son bureau ou chez monsieur Saleh.

Je frappai à la porte, personne. Soulagée, je me glissai à l'intérieur de la pièce. L'atmosphère feutrée et intimiste était agréable. La décoration sobre soulignée par la couleur grise des murs lui conférait toute son élégance. La cheminée électrique murale, enfoncée dans le mur paraissait vraiment réchauffer le lieu. Je me dirigeai vers le dressing et accrochai les chemises noires sur les cintres. Mes yeux s'attardèrent dessus puis, sur les chaussures et pour finir, sur les montres posées sur un meuble à côté de moi. Une pénible impression m'enveloppa à cet instant. Dans quelques minutes je devrais parler à Timothy, j'espérais qu'il ne me retiendrait pas. J'enfouis ma main dans la poche de mon vieux baggy et sortie le cygne en papier. Je ne voulais pas me laisser corrompre par l'univers de Yeraz ni disparaître dans la profondeur et l'immensité de sa noirceur.

— Miss Jimenez ?

La voix de Peter me tira de ma torpeur. Je me retournai si brusquement que je faillis perdre l'équilibre. Je me dépêchai de remettre le papier dans ma poche et sortis du dressing comme si de rien n'était.

Peter se tenait dans l'encart de la porte. C'était son heure habituelle pour ma séance d'entraînement. Le menton levé, il semblait me demander des comptes.

— Je ne peux pas aujourd'hui, Peter. Je dois voir Camilia dans une heure.

— Je suis au courant !

Sa voix étrange m'interpella. Il me regardait, le visage impassible.

— Vous avez demandé à la voir pour une raison que j'imagine importante.

Incontestablement, Peter avait insisté sur le mot "importante". Je rougis, gênée. J'avais l'impression que ses yeux pouvaient voir à travers la poche de mon pantalon et lire le nom des Porter inscrit sur le papier que je gardais précieusement avec moi depuis des semaines. Ses paroles me revinrent en mémoire : je suis les yeux et les oreilles de chaque membre de cette famille. Mais moi, je ne faisais pas partie de cette famille. Je déglutis lorsqu'il plissa ses yeux. Il tourna sa tête en direction du couloir pour vérifier que nous étions seuls et entra en regardant tout autour de lui comme s'il découvrait cette pièce pour la première fois. Le silence était lourd. Peter savait que je partais ce soir, c'était certain.

— La première fois que je vous ai vue, j'avoue que je vous ai jugé sévèrement, dit Peter tout en contemplant la cheminée. Votre style, votre physique m'a un tant soit peu déstabilisé. Comment Camilia avait-elle pu croire un seul instant que j'avais pu vous recommander ?

— Je ne vous en veux pas.

S'il avait besoin d'entendre ces mots pour se sentir mieux, je préférais alléger sa conscience avant mon départ. L'air parfaitement calme et maître de lui-même, il s'avança vers moi.

— J'ai compris il y a seulement quelques jours, pourquoi elle vous avait choisie. Camilia a vu cette lumière presque imperceptible que personne ne voit et qui pourtant, émane de vous. Celle qui manque dans le royaume du prince des ténèbres.

J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit, je ne comprenais pas où il voulait en venir. En fait, je ne comprenais rien du tout. Peter se pinça les lèvres et ajouta à voix basse :

— Camilia ne vous a pas engagé uniquement pour mettre le nez dans les affaires de son fils. Les jeux sont déjà faits depuis longtemps. Elle vous a engagé pour toute autre chose.

Je fronçai les sourcils.

— Je ne vous suis pas. Quelle est alors la raison de ma présence ici ?

— Rien ne peut abîmer un diamant sauf s'il rentre en collision avec un autre diamant.

J'interrogeai Peter du regard.

— Suivez-moi, miss Jimenez. J'aimerais vous montrer quelque chose.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant