Chapitre 13-1

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Le mois qui suivit fut un des plus étranges de toute mon existence. J'habitais chez Yeraz, mais l'avais à peine vu ces dernières semaines. Je dinais seule dans la cuisine, les soirs de semaine. Lorsque j'avais un peu de temps libres, la journée, j'en profitais pour apprendre à connaître le jardinier qui s'appelait Howard. Yeraz était trop occupé avec tous ses rendez-vous en journée et le club à gérer en plus la nuit pour prêter attention à moi. Cette routine me convenait, il me laissait tranquille et je pouvais enquêter discrètement sur ses affaires et approfondir mes recherches sur le dossier "Roskuf".

Les week-ends, j'étais libre de vaquer à mes occupations sans personne pour me chaperonner. Ma famille trouvait étrange de ne plus voir Yeraz et commençait à faire courir le bruit d'une supposée rupture. Les rumeurs allaient bon train. J'évitais le sujet lors des rassemblements de famille ce qui attisait encore plus la curiosité de mes proches. Ma mère ne disait rien, mais les reproches dans ses yeux m'accablaient chaque fois qu'elle posait son regard sur moi.

Nous étions, ce vendredi soir, à deux semaines de la représentation du spectacle de danse de Daphné. Bergamote, Alistair et moi avions décidé de passer la soirée sur le toit de la maison de santé alors que nous n'étions pas samedi. Je restais là, assise, abîmée dans la contemplation de cette nuit étoilée. Yeraz, en déplacement, avait été absent toute la semaine et je n'avais eu aucune nouvelle de lui. J'essayai de ne rien laisser paraître, mais je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter à son sujet.

Les petits plats de Bergamote m'avaient vraiment manqué. Alistair me régalait de tous ses souvenirs amusants de sa jeunesse, lorsqu'il était encore étudiant. J'aimais l'écouter parler. Ici, avec eux, je pouvais être moi-même, je me sentais libre.

Bergamote d'un air nostalgique déclara :

— Demain, nous assisterons à un des derniers cours de répétition de Daphné et son groupe. Après le spectacle, les danseuses partiront pour d'autres horizons.

Alistair haussa les épaules.

— Peut-être Paris !

— Ou Londres, déclarai-je avant de finir mon verre de vin.

— Et toi, Ronney ? Quand nous laisseras-tu ?

La voix éteinte de Bergamote était à la fois pleine d'espoir et de tristesse.

— Pourquoi partirais-je, alors que j'ai sous les yeux la vue la plus incroyable du monde ?

Alistair ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit. Je ne reconnus pas le numéro et pour cause, c'était Cyliane qui m'appelait sur ma ligne privée. La jeune femme, un brin paniquée, me suppliait de venir lui apporter du matériel électronique oublié chez elle et qui lui manquait pour le tournage de son émission paranormal.

— Ses sœurs ou sa mère ne peuvent pas s'en charger, demanda Bergamote en me voyant me préparer.

— Camilia et les filles sont ce soir dans l'émission de The Ellen DeGeneres show. Je n'en ai pas pour longtemps. On se retrouve demain, ici, comme prévu, pour le cours de Daphné.

Je me dirigeai vers l'échelle métallique en laissant mes deux amis sur le toit. Je les enviais de rester quelques minutes de plus à pouvoir contempler Sheryl Valley sous les étoiles.

La maison abandonnée était silencieuse quand la voiture s'arrêta dans l'allée. Je remerciai le chauffeur du Uber et descendis. Cyliane apparut dans l'encart de la porte et se précipita vers moi pour m'aider à sortir le matériel du coffre.

— Tu nous sauves la vie, Ronney ! Sans les caméras infrarouges et les champs magnétiques, il nous est impossible de tourner.

Ses cheveux violets lui tombaient au milieu du dos. Malgré qu'elle soit souvent dans des endroits lugubres, comme cette nuit, elle était toujours parfaitement maquillée et coiffée tout comme ses sœurs. C'était une aventurière qui assumait son sex-appeal et son extravagance. Une Lara Croft des temps modernes, une femme assoiffée de danger, à la recherche du grand frisson.

— Cyliane ? s'écria une voix, sur le perron de la maison. Madison ne viendra pas. Elle s'est foulé la cheville.

C'était Joseph, son assistant et meilleur ami. Un homme d'une vingtaine d'années, enrobé avec déjà une calvitie apparente. Il portait un jogging et des chaussures usées. Ce duo infernal était toujours ensemble depuis le lycée. Cyliane aimait parler de Joseph comme son âme sœur sans aucun sentiment amoureux. Un peu comme Bergamote et Alistair. C'était une relation au-dessus de tout ça.

— Mince ! Impossible de tourner sans elle. On ne pourra pas filmer, enregistrer les PVE, s'occuper des détecteurs et des thermomètres, tout ça à la fois.

Cyliane repoussa sa mèche qui lui tombait sur le visage aux traits parfaits. Une seconde, je crus lire une grande déception dans son regard, mais elle se ressaisit rapidement. Elle eut l'air d'être soudain traversée par une pensée que je n'arrivais pas à deviner. D'un ton parfaitement naturel, elle s'adressa à son ami :

— OK, Joseph. Nous allons faire sans Madison. J'ai peut-être une solution.

L'homme hocha la tête et repartit à l'intérieur de la bâtisse abandonnée. La jeune femme se tourna vers moi.

— Ronney, tu vas venir avec nous. Ne t'inquiète pas, ce sera l'affaire de quelques heures seulement et l'on ne verra pas ton visage lors du tournage.

Je haussai les sourcils, prenant un peu de temps pour réaliser ce qu'elle venait de dire. Sans remarquer que je la dévisageais, Cyliane se mit à parler avec fougue :

— On restera groupé. Surtout, laisse-moi poser les questions aux esprits de la maison. J'ai déjà eu l'impression d'être possédée une fois, mais le prêtre, Juanes, s'est occupé de tout ça.

Les mains chargées de matériel, elle se dirigeait vers le perron en poursuivant son monologue :

— Si je lève le ton, c'est normal. Les fantômes aiment être bousculés. Je te préviens que nous filmons dans le noir, alors fais attention là où tu mets les pieds...

Choquée, je ne bougeai pas. Les informations avaient du mal à affluer vers mon cerveau. Je laissais Cyliane débiter à toute allure son flot de paroles jusqu'à ce qu'elle réalise que je ne la suivais pas.

— Ronney ? Dépêche-toi ! Tu ne vas pas rester planté là toute la nuit.

J'allais protester, mais la jeune femme me désarma en ajoutant :

— Je te revaudrais ça, tu es une chic fille. Tu ne peux pas savoir à quel point ce tournage est important pour moi. C'est les trois ans de ma chaîne, aujourd'hui. Même si j'étais malade et à deux doigts de mourir, je serais là en train de tourner cette émission dans cette maison qui fait partie des demeures les plus hantées du pays.

Je regardai la maison d'un œil inquiet. Cet endroit était une ancienne institution où l'on enfermait dans les années 1940 des handicapés. Il était vrai que cette bâtisse foutait la trouille. La lune pleine au-dessus d'elle la rendait encore plus mystérieuse. La demeure tout en pierre n'était pas très grande. Les volets en bois ne tenaient presque plus aux fenêtres. Sur les murs extérieurs, les ronces et le liège semblaient la dévorer petit à petit. Avant que je n'aie eu le temps de faire un pas en arrière, Cyliane m'appela une dernière fois. Je soupirai et me résignai à rentrer à l'intérieur. Après tout, qu'est-ce qui pouvait bien m'arriver ? Je ne croyais pas au paranormal.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant