Chapitre 8-5

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Assise, je pris enfin le temps de souffler. Je voulus remonter mes lunettes, mais mon doigt arriva directement dans mon œil.

— Aïe ! Merde.

Je n'étais pas encore habitué à ce petit changement. Je pris une fourchette de mon entrée, mais celle-ci resta suspendue devant ma bouche quand la chaise en face de moi se tira lentement. Yeraz s'assit comme si de rien n'était. Comme d'habitude, ses yeux sombres avaient une expression sévère et sans joie. Je me mis à jeter des regards furtifs à gauche et à droite avant de reposer ma fourchette.

— Bon sang, mais que fais-tu ici ? grognai-je. Nous ne sommes pas encore samedi !

— Et alors ?

Il inclina la tête avec une expression comique sur le visage. Le son de sa voix était à la fois, monotone, exaspérant et terrifiant. Dans le restaurant, tout le monde nous dévisageait.

— Yeraz, pourrais-tu juste une seule fois me foutre la paix ?

— Bien sûr, Ronney, quand tu auras démissionné.

Il se mit à regarder tout autour de lui puis son regard se radoucit. Il se pencha vers moi. Je détournai mes yeux de lui pour ne pas contempler sa mâchoire carrée et ses traits émaciés.

— Cette journée m'a donné faim à moi aussi. On partage ?

— Non ! Va te servir au buffet comme tout le monde. Ma journée de travail est finie, je ne suis plus à ton service.

— Quand l'êtes-vous, miss Jimenez ? J'ai plus l'impression d'avoir un agent d'approbation dans les pattes qu'autre chose.

Je ne répondis pas et continuai de manger, mais sans appétit.

— Je n'avais jamais remarqué jusqu'à maintenant la couleur de tes yeux.

Je plantai mon regard dans le sien. Pour la première fois, le ton de sa voix n'était pas condescendant ni déplaisant. Déstabilisée, je rougis et baissai mon regard sur mon assiette. Ce dernier se leva, sûrement pour aller se servir. Mon téléphone vibra à cet instant dans ma poche. J'attendis que Yeraz soit assez loin pour consulter le message. C'était Caleb. Mon cœur se mit à s'accélérer, ma respiration se coupa. Je venais de rentrer dans un état de stress et d'excitation intense. J'hésitai à l'ouvrir, mais ma curiosité l'emporta.

"C'est bientôt l'anniversaire de Carolina. Je sais que je n'ai pas le droit de te demander ça après ce que je t'ai fait, mais je ne sais pas quoi lui offrir. Pourrais-tu me donner une idée, s'il te plaît ? Merci".

Je portai une main à ma bouche pour étouffer un petit cri de douleur. Comment pouvait-il oser m'envoyer un message pareil ? Sous le choc et la tête bourdonnante, je fixai l'écran de mon téléphone sans arriver à le ranger. J'étais devenu pour lui, une bonne copine.

Yeraz réapparut avec un plateau chargé de nourriture, entrée, plats, dessert confondu. Je ne voulais pas changer d'humeur, je venais de recevoir le pire message de ma vie. Malgré ça, un rire nerveux montait en moi. J'aurais dû éclater en sanglots, mais la scène qui se déroulait sous mes yeux prit le dessus. Un fou rire s'empara de moi laissant un Yeraz incrédule. Il devait penser à cet instant que je craquai complètement. Entre deux spasmes, je réussis à articuler quelques mots :

— Ça se voit que tu n'as pas l'habitude de ce genre de restaurant.

Yeraz m'interrogea du regard, gêné par la situation. Je parvins à me calmer, mais je pouvais repartir à tout moment dans mon fou rire.

— OK, cher monsieur Khan. Le buffet est un concept dont l'avantage est d'aller se servir à VO-LON-TÉ. Pour faire court, les êtres humains du tiers-monde peuvent se lever, aller chercher leur entrée, se rasseoir puis aller chercher leur plat et ainsi de suite.

Yeraz se rassit, mal à l'aise.

— C'est un concept pratique. À vrai dire, je ne...je n'ai jamais...

— Oui, ça se voit !

Je contenais difficilement mon rire. Yeraz se redressa sur sa chaise et secoua la tête avec une moue craquante, hilare de la situation. C'était la première fois que je le voyais sourire, vraiment sourire. Je ne peux pas dire ce qu'il se passa à cet instant, mais j'avais l'impression de le voir vraiment. Je le regardai et ce fut comme si le temps s'arrêtait. Durant un bref moment, il venait de me faire oublier une vieille douleur intense au creux de ma poitrine.

Il se reprit assez vite et le voile noir se rabattit doucement au fond de ses yeux afin de me cacher ce monde qu'il ne me laissait pas voir. Son regard glissa brièvement sur moi avant de disparaître au-dessus de mon épaule.

— Bonsoir.

Chose rare, mon frère était sorti de sa chambre, ce qui prouvait que le traitement fonctionnait bien. Il salua poliment Yeraz qu'il n'avait encore jamais vu puis prit une chaise à la table d'à côté pour venir s'asseoir avec nous. Je lui trouvai meilleure mine même si ses traits étaient encore tirés avec d'immenses cernes sombres sous les yeux. Toutes les lueurs de lassitudes et de résignation se lisaient clairement sur son visage au teint gris.

— Comment vas-tu ? lui demandai-je, anxieuse.

— Beaucoup mieux. Je suis heureux de rencontrer ton petit ami. Désolé, je ne me suis pas présenté, Elio, le grand frère de Ronney.

Je les regardais tous les deux avec la peur que Yeraz lui réponde avec le même mépris qu'il aimait m'accorder d'habitude. Mais ce ne fut pas le cas, il resta courtois peut-être par pitié ou pour mieux rentrer dans la peau de son personnage. Je relâchai la pression qui pesait sur mes épaules le plus discrètement possible. Mon frère se transforma alors en un avocat au prétoire et commença à lui poser un millier de questions. Yeraz ne se défila pas et ne fit pas un seul faux pas. Tous les deux paraissaient se connaître depuis toujours. Elio réussit même à lui faire décrocher un rire. Même si je savais qu'il retrouverait sa froideur et sa raideur en passant les portes du restaurant, je pris cet instant pour le graver au fond de moi. Voir Yeraz lâcher prise était la seule image que je voulais garder de lui une fois que mon contrat avec Camilia serait terminé.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant