Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]

Chapitre 16-2

Yeraz apparut quelques minutes plus tard et s'installa dans la voiture, à côté de moi. La mauvaise humeur se lisait sur son visage. Isaac démarra aussitôt.

Après plusieurs secondes d'un silence insupportable, je tournai ma tête vers lui et demandai d'une voix mal assurée :

— Vas-tu faire annuler l'accord ?

Yeraz secoua la tête, le visage tourné vers sa vitre.

— Ce n'est pas aussi simple, Ronney. Je ne peux pas claquer des doigts et tout effacer comme ça.

— Pourquoi ?

Yeraz tourna son visage vers moi, ses traits accusaient la fatigue. Dans ses prunelles noires se reflétait toute la noirceur de son âme.

— Parce qu'il y a beaucoup d'argent en jeu. La Rosa Negra et la Mitaras Almawt ne sont pas prêtes à lâcher ce genre de marché.

— Mais nous parlons de vies de centaines d'êtres humains.

— Et moi, je te parle de business !

Il détourna les yeux des miens et tira sur sa veste sombre comme pour l'aider à se calmer.

— Ils laisseront le restaurant de tes parents tranquille, mais ça s'arrêtera là !

Je me calai au fond de mon siège et me mis à regarder le paysage défiler sous mes yeux. Yeraz ne comprenait pas que dehors, il y avait plein de Ronney qui aspiraient à une vie calme, sans avoir peur chaque jour de la mafia.

— Les choses changent petit à petit, Ronney. Laisse le temps faire.

Je revins poser mes yeux sur lui.

— Je sais.

Après une courte hésitation, j'ajoutai :

— Il y a des moments où tu me rends heureuse, j'aurais aimé que ça soit toujours le cas.

Son regard changea du tout au tout pour se teinter d'une douceur inattendue. Pour éviter qu'il lise au plus profond de mon cœur, je baissai instinctivement les yeux. Sa main se rapprocha doucement de la mienne pour venir la frôler du bout de ses doigts.

— Puis-je te poser une question ?

Il arrêta son geste et se renfrogna.

— Non !

— Si tu avais été quelqu'un de « normal », sans l'héritage de ton père, qu'aurais-tu voulu faire de ta vie ?

Yeraz laissa échapper un long soupir.

— Alors pour toi, je ne suis pas quelqu'un de normal ?

J'inclinai ma tête de gauche à droite avec une petite grimace. Il eut du mal à contenir son sourire naissant au coin des lèvres avant de reprendre rapidement son sérieux. Les yeux dans le vide et les sourcils froncés, il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Après quelques instants à chercher ses mots, il me confia douloureusement :

— Je serais propriétaire d'un ranch. J'aime les chevaux. C'est difficile à croire quand on sait que mon père m'obligeait, tout petit, à tirer sur des carcasses d'animaux, à l'abattoir puis plus tard, sur des bestiaux vivants pour, comme il aimait me le rappeler, me forger.

Mon cœur se mit à battre au ralenti. Yeraz venait de me confier un des épisodes les plus durs de sa vie qui l'avait profondément marqué. Il n'avait connu que la violence depuis son enfance. Sa souffrance débordait sur moi. Une peine immense m'enserra la poitrine comme un bandeau d'acier.

— Et ton frère ? murmurai-je.

— Mon père l'a laissé tranquille, ce n'était pas l'aîné de la famille. Ma route à moi était toute tracée.

— Pourquoi ta mère ne t'a-t-elle pas protégé ?

Yeraz marqua une pause. Son regard intense et pénétrant s'accrocha au mien.

— Et la tienne, Ronney ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ?

Une fois de plus, il eut le dernier mot.

— Puis-je te poser une question, à mon tour ?

Je hochai la tête.

— M'aurais-tu vraiment tiré dessus, avec mon arme ?

Je me figeai. Sa question me prit de court. J'ouvris la bouche, mais la refermai aussitôt. Mes yeux répondirent à ma place. Yeraz se pinça les lèvres et ferma les paupières, le front plissé.

— Je ne sais pas ce qui est le plus douloureux, Ronney. Recevoir une balle en plein cœur ou bien survivre avec le cœur brisé.

Il avait prononcé ces mots avec un effort immense. Je voulus répondre, mais Isaac nous interrompit.

— Monsieur Khan, vous êtes arrivés.

Yeraz sortit de la voiture sans m'adresser le moindre regard et partit m'ouvrir la portière. Il avait mis ses lunettes noires pour couper toute communication avec moi.