Chapitre 9-2

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Sur la plage, j'interceptai un homme trapu, bien en chaire qui se présentait comme un guide d'excursion et lui demandai de bien vouloir nous faire la promenade en bateau. Il donna son prix d'une voix forte. Du regard, je sommai Lucas de régler la somme. C'est à contrecœur qu'il obtempéra et décida de me suivre dans cette jolie balade.

Le vent fouettait mon visage sur le rapide. Mon tee-shirt et mon pantalon étaient trempés, mais cette fraîcheur au contact de ma peau était agréable. Nous étions entre l'océan Pacifique et la mer de Cortez. Sur la côte au loin, la nature préservée rendait l'image de cette île unique. Dans les eaux turquoise, des milliers de petits poissons nageaient au milieu des coraux. À travers ce spectacle magnifique, je découvrais pour la première fois un trésor de ce monde.

Lucas m'observait, partagé entre l'inquiétude de désobéir aux ordres et le plaisir d'être ici, à profiter de sa liberté. Il ne devait pas beaucoup s'amuser le reste de l'année, dans sa cage dorée.

Le bateau contourna l'immense rocher percé. C'était un arc en calcaire sculpté avec le temps par l'eau et le vent. Maître de l'océan, il semblait vouloir nous raconter bien des secrets, des légendes, à son propos.

En admiration, je descendis du rapide et foulai la plage que le rocher dominait de toute sa hauteur. La voix de Lucas m'obligea à détourner les yeux de l'énorme caillou.

— As-tu ton téléphone avec toi au cas où Yeraz essaierait de nous joindre ?

— Non, j'ai laissé mes affaires dans la voiture.

Je contemplais la plage sauvage. Il y avait très peu de monde ici.

— Los Cabos est un paradis absolu, nous confia notre guide. Nous n'acceptons qu'un nombre limité de personnes sur cette plage afin de préserver la faune et la flore. Vous verrez, vu du ciel, vous aurez l'impression de toucher du bout des doigts, le Paradis.

— Le Paradis avant de connaître l'Enfer dans quelques heures, c'est bien.

Lucas avait prononcé ces mots sur un ton ironique. Il semblait vivre les derniers instants de sa vie en prenant conscience du danger qui nous attendait à notre retour de cette excursion. Je levai les yeux au ciel, ne prenant pas au sérieux les paroles qui sortaient de sa bouche.

Harnachée au parachute tracté par le rapide, je profitai de la vue splendide sur tout le littoral. J'avais été élevée progressivement dans les airs sans aucune sensation de vertige. L'air brûlant sentait bon le parfum des arbres et des fleurs qui me parvenait depuis l'île. La sensation que je ressentais en plein vol me libérait de tous mes tracas. En bas, Lucas et notre guide paraissaient minuscules. Je rejetai ma tête en arrière et écartai mes bras. J'aurais voulu rester là-haut pour toujours. Ici, j'avais l'impression que rien ni personne ne pouvait m'atteindre.

Soudain, des bruits de moteurs vinrent troubler la tranquillité de ce moment si parfait. Je baissai de nouveau mes yeux et constatai, effarée, que notre rapide était encerclé par trois bateaux avec à leur bord des hommes qui hurlaient des ordres à notre guide. Yeraz venait de mettre un terme à notre escapade. Il était l'heure de rendre des comptes au grand manitou.

Personne n'avait parlé sur le chemin du retour. Yeraz m'avait contraint à monter sur l'un des bateaux avec lui. Je n'avais pas riposté. L'absence de Miguel et Fares parmi les hommes qui étaient venus nous chercher lors de notre excursion n'indiquait rien de bon.

Désormais, seule dans la voiture avec Yeraz, ma gorge se serra un peu plus au point d'altérer ma respiration. Il regardait le paysage défilé à travers sa vitre fermée sans m'accorder la moindre attention. Le chauffeur, visiblement concentré sur la route, n'avait pas jeté un seul regard dans le rétroviseur depuis le début du trajet. Pleine de remords, je regrettai d'avoir embarqué Lucas dans cette folle escapade.

— Où sont Miguel et Fares ?

Ma voix mal assurée trahissait mon inquiétude.

— Viré !

Il s'était exprimé d'une voix nette et mesurée. Le silence retomba, insupportable. La boule au creux de mon estomac s'agrandit.

— Yeraz, ils n'y sont pour rien. Tout est de ma faute.

Il tourna sa tête vers moi et enleva ses lunettes. Son regard multidimensionnel, imposant et intimidant me paralysa complètement. Ses prunelles brûlantes me happèrent entièrement jusqu'à engourdir chacun de mes membres.

— À part si je me trompe, tu ne sais pas nager.

Il me regarda longuement, placide en attendant ma réponse. Je balbutiai :

— Comment peux-tu savoir ça ?

— C'est ton frère qui me l'a dit l'autre jour, au restaurant. Il m'a aussi demandé de prendre soin de toi.

Je baissai mes yeux, consciente de mon comportement irresponsable.

— Nous reparlerons de tout ça à l'hôtel, j'ai des emails à envoyer.

Son extérieur demeurait calme, mais sa voix renfermait un ton menaçant. Quel sort me réservait-il ? Me brûler avec un tisonnier ? Me torturer en me plongeant la tête dans l'eau de la baignoire ? Et Lucas ? Mon Dieu, Lucas.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant