Chapitre 21-2

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Je descendis de la voiture et restai un petit moment devant la porte d'entrée de la maison de Camilia, à respirer profondément.

Je me dirigeai vers le salon. Des femmes en tenue très moulante passèrent nonchalamment devant moi pour se rendre dans le jardin, là où étaient installés le buffet, les tables et les stands photo. Une décoration digne d'un roi. Camilia et ses enfants avaient fait les choses en grand, comme d'habitude.

Je cherchai Yeraz des yeux en espérant le voir se mélanger à ce monde qui n'était plus le sien depuis si longtemps. De l'autre côté de la baie vitrée, j'aperçus les sœurs Khan qui donnaient le change avec les invités. Jalen, la fille d'Aaliyah, attirait toute l'attention sur elle en se dandinant au milieu de la petite foule et en distribuant des baisers avec sa main potelée. Tout avait l'air presque normal, excepté qu'il manquait le principal intéressé. Comment tous ces gens arrivaient-ils à faire comme si de rien n'était ?

Bergamote avait raison, je n'aurais pas dû venir. C'était encore une nouvelle déception. Je n'étais pas prête à rire de nouveau, pas prête à faire face à Cyliane et à ses questions délurées sur la mort. Je reculai avant que quelqu'un remarque ma présence et fis demi-tour.

L'absence de Camilia à la fête m'obligea à vérifier si elle n'était pas cloitrée dans son bureau, assise derrière son meuble en chêne. Mon intuition fut la bonne. Quand j'apparus dans la pièce, elle passa sa main sur son visage d'un geste brusque, sans retirer ses lunettes pour essuyer ses larmes. Gênée, elle m'invita à m'approcher d'elle.

— Ronney, entrez, je vous en prie. Je suis heureuse que vous ayez pu venir. Comment allez-vous ?

— Ça va, merci.

Un sourire mince et hésitant se dessina sur ses lèvres. Il était évident qu'elle voulait être seule.

— Nous n'avons pas eu l'occasion de nous revoir après cette terrible nuit. J'ai eu tellement peur pour vous. Vos parents m'ont clairement fait comprendre de vous laisser tranquille et je ne leur en veux pas. J'aurais réagi pareil à leur place s'il était arrivé malheur à une de mes filles, même pire.

— Il leur faut un peu de temps pour digérer tout ça.

Je lui adressai à mon tour un sourire, un sourire qui n'en était pas un.

— Il ne viendra pas, dit-elle en devinant mes pensées.

Je hochai la tête et sentis le désespoir m'envahir, anéantissant le peu d'espoir qu'il me restait.

— J'ai échoué, murmurai-je.

Camilia me lança un regard triste à mourir.

— Non, Ronney. Même si nous avons perdu la guerre, nous avons gagné quelques batailles. Vous avez mis un bon coup de pied dans notre quotidien à tous. C'est le temps qui nous a manqué. Ç'a été un plaisir de travailler avec vous.

Il était temps pour moi de partir, de laisser cette famille incroyable qui m'avait tant apportée. Je savais qu'une partie de moi restait ici, la partie la plus importante.

Au moment de m'en aller, Abigaëlle apparut paniquée, le visage blême.

— Madame, monsieur Saleh est ici. Il souhaite s'entretenir avec vous.

Je ravalai ma bile et me tournai vers Camilia. Les sourcils levés, l'air surpris, elle autorisa cette visite impromptue.

Hamza entra dans le bureau, accompagné d'un homme en costume élégant et dont les cheveux étaient plaqués en arrière avec du gel. Il salua poliment Camilia avant de se caler dans un des fauteuils, en face d'elle. Son accompagnateur ouvrit les boutons de sa veste avant de l'imiter. Camilia avait accepté que je reste durant l'entretien. J'étais postée debout, à côté d'elle, dans son camp. Hamza me regardait sans ciller. Pendant un instant, j'eus l'impression qu'il pouvait lire jusqu'au plus profond de mon âme.

— Heureux de vous voir... en vie, miss Jimenez.

Animée par une rage froide qui s'était logée dans ma poitrine, je luttai pour garder mon calme.

— Que voulez-vous ? demanda Camilia sur un ton suspicieux en se passant de politesse.

Elle le défia d'un regard calme et moins qu'amical. Hamza ne parut pas déstabilisé. Il fit un signe de main à l'homme à côté de lui qui sortit de son attaché-case, des papiers.

— Vos actions ! répondit Hamza de sa voix rocailleuse. Vous devez honorer les derniers souhaits de votre défunt mari stipulés dans son testament.

— Mon fils est-il aussi lâche pour envoyer ses émissaires à sa propre fête d'anniversaire ?

— Il est très occupé, madame Khan.

Camilia ravala une réplique mordante et regarda son rival, vibrante de colère.

— Signez ! Nous devons en finir.

La femme d'affaires secoua la tête.

— Vous m'avez déjà tout pris. Allez vous faire voir, vous et tous vos petits soldats. Je ne signerai pas ! Je veux voir mon fils, je ne signerai qu'en sa présence.

Hamza posa alors son regard sur moi. Il m'observa un instant comme pour percer un mystère qui lui échappait. Il se redressa et se frotta le menton.

— J'ai bien peur que ce soit impossible.

Il posa les documents sur la table et sortit ensuite de la poche interne de sa veste, un petit écrin de couleur vert émeraude attaché avec un nœud rouge qu'il tendit à Camilia.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, intriguée.

— De la part de votre fils.

Je bloquai ma respiration sans arriver à détourner les yeux de la boîte que Camilia tenait dans sa main. Ses doigts défirent lentement le nœud puis elle porta devant son visage, le petit objet qui n'était autre que la chevalière de Yeraz.

Prise de vertige, je me reculai jusqu'à rencontrer le mur. Camilia retira ses lunettes et ferma les yeux. À cet instant, sa carapace se fendit. Tous mes membres engourdis depuis des semaines, je les sentais soudain revenir à la vie.

— Yeraz Khan laisse tomber ses fonctions et quitte Asylum. Amir, mon neveu, que vous voyez ici à côté de moi, a été choisi pour prendre la place de votre fils dès que vous aurez signé ces documents.

Camilia attrapa le premier stylo qui lui venait et signa tout à une vitesse incroyable.

— Que vous a dit mon fils en renonçant à cet empire ? demanda-t-elle en reposant le crayon.

Hamza, le front plissé, semblait chercher au fond de ses souvenirs.

— Je n'ai pas bien compris. Il m'a parlé d'un pacte fait avec un vieux monsieur. Yeraz est un homme de parole. Tout le monde s'accorde à le dire. Une qualité si rare de nos jours.

Il se leva, salua Camilia avec un profond respect puis quitta la pièce, suivi de son neveu.

Un long silence régnait dans le bureau. Il nous fallut de longues minutes pour réaliser ce qui venait de se passer. Yeraz m'avait choisie et ça changeait tout. Même s'il quittait la ville, le pays, rien d'autre ne comptait. Nous ne nous reverrions sans doute jamais, mais peu importait. Je l'avais guidé vers la lumière, j'y étais arrivée.

Camilia se leva de son fauteuil, esquissa un pas en avant et me serra un long moment dans ses bras.

— Merci, murmura-t-elle en laissant couler ses larmes. Je vous serai à jamais reconnaissante. Merci, Ronney.

Je me reculai et soupirai pour laisser ce nouveau sentiment de sérénité m'habiter.

— Finalement, je crois que je vais aller rejoindre les filles et les autres invités dans le jardin, déclarai-je avec une gaieté dans la voix. Trinquons à l'anniversaire de votre fils et à son nouvel avenir.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant