Chapitre 11-1

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Au milieu du parc coulait un petit ruisseau. Assise sur le pont en bois, je balançai mes jambes au-dessus de l'eau. La voûte encore céleste disparaissait peu à peu avec la lumière de l'aube, balayant doucement les étoiles scintillantes sur son tapis sombre. Il n'était que sept heures, mais j'avais du mal à dormir. Je n'avais pas eu de nouvelles de Yeraz depuis deux jours, mais sa voix que j'entendais toujours dans ma tête continuait de me persécuter, et la vision de son regard assassin sur moi était encore pire.

Je jetai un coup d'œil autour de moi avant d'arrêter mon regard sur le parking, tout au fond. À part de rares joggeurs, rien ne troublait le silence de ce lieu.

Je tentai de me concentrer sur ma lecture. Les poèmes d'Emily Dickinson m'apaisaient l'esprit. Un homme comme Yeraz pouvait-il lire un recueil pareil ? Impossible qu'il ressente la puissance de ces mots ! Impossible qu'il ressente quoi que ce soit, d'ailleurs.

C'est le bruit d'un moteur de voiture au loin, sur le parking, qui me fit relever la tête. Huit heures, l'heure où la plupart des habitants de Sheryl Valley commençaient leur journée de travail. Je suivais des yeux cette berline noire à la carrosserie brillante. Je ne la voyais pas bien d'ici, elle était trop loin. La seule chose qui m'interpella est que des voitures comme celle-là ne se garaient pas à Bakery District. Je refermai mon livre et le rangeai dans mon sac. Je devais me rendre chez mon orthodontiste camée avant de rejoindre le chemin du studio.

— Si seulement je pouvais partir loin de cette ville.

Ma voix, que nul ne pouvait entendre, rendit un son étrange. Je mis mon baladeur en route, sur mes oreilles, pour commencer ma journée avec Elvis.

Trois jours que je ne m'étais pas rendus à Asylum. Je commençai à apprécier un peu ma liberté retrouvée. Ma vieille mobylette tremblait et encaissait avec fracas les trous de la chaussée. Je longeai les grands immeubles, passai les feux orange clignotants puis me garai devant le studio avant de retirer mon casque. Mon chignon-patate retombait plus sur un côté, mais ce n'était pas grave, je le referais à l'intérieur du bâtiment.

Au moment de tourner les talons, mon regard fut attiré par une berline de marque Mercedes garée juste en face de l'entrée de l'immeuble. Les vitres de la voiture baissée, je reconnus les deux visages aux airs peu commodes que j'avais vus sur la liste des profils, envoyée par Timothy, le lundi soir sur ma boîte mail. C'était moi-même qui avais retenu leur candidature. L'un avait une grosse barbe et des chevaux longs ramenés en arrière laissant apparaître des tatouages tout le long de son cou. L'autre type, plus mince, les yeux clairs, avait un visage émacié, creusé et des cheveux courts tirant sur le noir grisonnant.

Une colère en moi grimpa en flèche. Avant que je traverse la chaussée pour me défouler sur les hommes de Yeraz, la Mercedes démarra. Je réalisai soudain que c'était cette voiture que j'avais aperçue hier matin, au parc. Je sentis comme une main m'agripper la paroi intérieure de mon estomac. Il me suivait partout. Yeraz me pourchassait. C'était sa façon à lui de me montrer qu'il décidait de tout, de quand commençait une partie et quand elle se terminait.

Je laissai filer devant moi les deux hommes en suivant des yeux leurs feux de position et luttai contre l'émotion de rage qui me serrait la gorge

En ce début de soirée, une légère pluie tombée, rendant la route glissante. Je n'avais toujours pas digéré la scène de ce matin. L'envie de prendre mon téléphone et d'appeler Yeraz me brûlait les doigts. J'accrochai en vitesse mon antivol à ma mobylette, pressée de partager ma mésaventure avec Alistair et Bergamote. Ils allaient sûrement encore essayer de me persuader de démissionner et dans un sens je savais qu'ils avaient raison. J'étais folle de rester à ce poste.

Je m'arrêtai net sur la première marche, devant l'immeuble. Caleb, assis tout en haut, m'attendait, l'air désolé.

— Bonsoir, Ronney.

Je me mordis la langue. Il avait toujours ce beau visage fin et les cheveux légèrement en bataille.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Caroline est-elle au courant ? Je ne veux pas avoir de problèmes.

— Non, ne t'inquiète pas. C'est fini avec Carolina. Peut-on se parler ?

Un sentiment étrange à la fois de peur, de soulagement et de guérison m'envahit à cet instant. Je regardai tout autour de moi, inquiète. J'avais l'impression que Yeraz avait des yeux partout.

— Viens, rentrons. Ça sera mieux.

Caleb me suivit sans un mot à l'intérieur de l'immeuble.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant