L'après-midi était lourd, chargé en électricité. Les nuages noirs qui recouvraient le ciel annonçaient l'orage. Sheryl Valley connaissait les heures les plus chaudes de cette saison. Derrière le comptoir, je vérifiai le livre de comptes du restaurant. Une semaine après l'anniversaire de Yeraz et les turbulences émotionnelles vécues ces deux derniers mois, j'essayais de recréer un lien avec ma famille. J'avais décidé de revenir aux fêtes de famille, de reprendre le cours de ma vie là où je l'avais laissé avant ma rencontre avec la famille Khan. Mes parents avaient l'air d'apprécier mes efforts pour revenir à une vie normale. Je savais que le chemin serait long avant qu'ils me fassent de nouveau confiance. Mes cousins évitaient désormais les remarques désobligeantes à mon égard. Ils paraissaient aimer la nouvelle Ronney, plus jolie et surtout, plus sûre d'elle.
Je relevai mon visage vers leur table, au fond du restaurant. Gabriella, Louis et les autres finissaient une partie de cartes animée en cris, en plaintes et en rires. À l'autre bout de la salle, ma mère discutait avec mes tantes. La discussion était très agitée aussi de leur côté, les commérages allaient bon train. C'était un après-midi normal ou presque en apparence, car au fond de moi, je mourais à petit feu de frustration et de tristesse. « Il » était absent de ma vie depuis que je m'étais réveillée sur mon lit d'hôpital. Pas un seul appel ni un seul message de sa part. C'était comme si je ne l'avais jamais rencontré. Yeraz avait complètement disparu de la circulation, sûrement loin, très loin d'ici. J'avais accepté l'idée de ne plus jamais le revoir même si mon cœur continuerait à toute heure du jour et de la nuit de l'aimer.
Camilia avait fait jouer ses relations pour me trouver un poste comme comédienne de doublage pour les studios Disney. Une formidable opportunité pour moi. Dans quelques semaines, je quitterais cette ville pour un nouveau départ. Redoutais-je ce moment ? Bien sûr et pour toujours la même raison : lui.
Je revins à la réalité lorsque mon frère franchit la porte du restaurant suivi de mon père. Tous les deux venaient vers moi, un sourire radieux sur leur visage et un éclat brillant dans les yeux. Je les regardai, suspicieuse. D'où venait leur si bonne humeur ? L'état de mon frère s'était considérablement amélioré, le nouveau traitement y était pour beaucoup. Les médecins ne nous promettaient pas une complète rémission, mais au moins de nombreuses années à vivre. Nous prenions et comptions bien profiter de chaque moment passé avec lui.
Quand ils arrivèrent à ma hauteur, ils s'échangèrent un regard complice.
— Bon, allez-vous vous décider à me dire ce qui peut bien provoquer cet élan de bonheur ? déclarai-je sur un ton impatient.
Elio jeta sur le comptoir le journal avec en gros titre : « L'homme d'affaires, Bryan Clark ruiné ! » Mon sourire se fana. La photo de Bryan et de ses collaborateurs, qui n'étaient qu'autres que ses camarades de lycée, raviva une douleur et une angoisse indéchiffrable. Ils étaient tous là, tous mes agresseurs. Il n'en manquait aucun. Trop perturbée, je ne parvins pas à me concentrer sur la lecture de l'article du The Wall Street Journal.
— Cet enfoiré et ses potes n'ont que ce qu'ils méritent, grogna mon frère entre ses dents.
— Ce Bryan peut bien aller se pendre ou se tirer une balle dans la tête, ça m'est complètement égal, ajouta mon père avec haine. Le principal c'est qu'il y a une justice. La roue finit toujours par tourner.
Les yeux fixés sur la photo, je demandai d'une voix blanche :
— Que s'est-il passé ? Comment est-ce arrivé ?
— Il a tout perdu dans de mauvaises actions. Boum ! Comme ça, du jour au lendemain, se réjouit mon frère.
— Comment s'appelle cette compagnie ? marmonna mon père qui tentait de retrouver le nom de la firme responsable de la ruine financière de Bryan et de ses amis.
Après un court moment de réflexion, il s'exclama :
— Roskuf ! Un immense groupe pétrolier, enfin, ça l'était.
Le temps s'arrêta de tourner autour de moi. Je n'entendis plus rien, même mon cœur avait cessé de fonctionner. Ma vue se troubla. Yeraz les avait tous eus. Son dernier coup de maître dans les affaires. Il préparait ça depuis que nous étions revenus de Los Cabos.
— Ronney, chérie, ça va ?
Je mis du temps à revenir parmi mon frère et mon père.
— C'est le contrecoup de la nouvelle, déclara ma mère qui était venue nous rejoindre.
Je les regardai, tour à tour. Elio et mes parents m'interrogèrent du regard, les sourcils arqués.
— Ronney ? insista ma mère.
D'un geste, je lui imposai le silence.
— Je suis désolée, balbutiai-je. Je ne peux pas.
Je fis le tour du comptoir. Mes yeux s'humidifièrent et ma voix trembla :
— Je vous aime d'une tendresse infinie, mais je ne peux pas vivre sans lui. J'espère que vous aurez un jour la force de me pardonner.
Le visage de mon père se ferma brutalement. Il ne réagit pas à mes propos, mais je compris à l'expression de son visage qu'il désapprouvait ma décision. Mon frère, plus conciliant, m'adressa un petit sourire et m'indiqua la porte avec un signe de tête.
— Va le retrouver, petite sœur. Ça sera dur pour nous, mais nous ne voulons que ton bonheur.
Je tournai mon visage vers mon père, il ne répondit rien. J'étais à cet instant sa plus grande déception. Ma mère me fixa comme si j'avais perdu la tête avant d'implorer mon père du regard de dire quelque chose. Je préférai couper court à la discussion :
— Papa, j'ai besoin de tes clefs de voiture, s'il te plaît.
Il hésita un instant. Au fond de lui, un violent combat intérieur s'engageait. Malgré les exclamations horrifiées de ma mère, il me les tendit. Je reculai doucement pour les observer une dernière fois avant de me mettre à courir vers la sortie.
Dehors, la pluiecommençait à tomber. Je pris une profonde inspiration pour respirer son odeur.Je ne fus pas longue à me décider où aller. Camilia et ses enfants n'avaientaucune idée de l'endroit où se trouvait Yeraz. Personne ne le savait. Personne,excepté... Peter.
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Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]
RomanceRonney est une jeune femme introvertie au physique disgracieux. Elle vit très modestement dans un des quartiers les plus pauvres de Sheryl Valley, une ville gangrénée par la mafia au sud de la Californie. Sans diplôme, elle travaille dur dans le res...