Je me rappelais encore la Une des tabloïdes qui nous apprenaient l'assassinat de Haroun Khan. Je n'avais plus l'impression d'être là pour un entretien. Cette femme me touchait réellement. Nous étions de deux mondes complètement différents, mais pendant un instant, nous partagions quelques bribes de nos vies.
— Je suis vraiment désolée. C'est une terrible épreuve que vous avez vécue.
Au fond de ses prunelles triste se reflétaient toutes les nuances de couleurs miel et de marron.
— Êtes-vous fille unique ?
— Non, j'ai un frère aîné, Elio qui vit en ce moment avec mes parents.
— Et vous vivez seule ? En appartement ou dans une maison ?
Sa double question me prit une fois de plus de court.
— En colocation. Il n'y a pas assez de place chez mes parents et mon frère reçoit de lourds soins à cause de son cancer au poumon.
— Oh.
La femme d'affaires serra ses lèvres et m'adressa un regard compréhensif.
— J'imagine que les frais de santé doivent être astronomiques pour votre famille.
Je répondis avec un léger hochement de tête sans rien ajouter. Ma vie devait sembler bien triste vue de l'extérieur et elle l'était.
— Vous devriez trouver quelqu'un de plus compétent et de plus disponible pour le poste. Être votre assistante doit sûrement demander beaucoup de temps.
— Et vous n'en avez pas ?
Je secouai vigoureusement ma tête. Madame Khan tira sur sa robe pour la remettre en place et croisa de nouveau ses bras sur sa poitrine.
— Je ne recherche pas une assistante pour moi, c'est pour mon fils, Yeraz. C'est pour un contrat de six mois, jusqu'à la date de son trente et unième anniversaire.
Un frisson glacial me parcourut le dos.
— Est-ce si difficile de lui en trouver une ?
— Difficile n'est pas le mot, je dirais que c'est impossible. Mon fils est un homme qui n'a pas toujours de bonnes convictions et il est entouré de mauvaises personnes.
Madame Khan partit de nouveau s'asseoir sur son fauteuil et balaya avec sa main, sa mèche devant les yeux. Son visage s'était de nouveau fermé. Ses traits d'une telle perfection se crispèrent.
— Il a besoin d'être bien entouré, continua-t-elle, surtout en ce moment. Trouver un ou une assistante qui lui tient tête et qui me fait un rapport détaillé chaque fin de semaine est à priori introuvable. Soit mon fils finit par coucher avec ses assistantes soit il s'acharne sur ses employées jusqu'à les pousser à la démission.
— Et les hommes ?
— C'est pire.
Son articulation était parfaite et me hérissa les poils de mes bras.
— Madame Khan ? Pourquoi ai-je l'impression que vous me proposez ce poste ?
Elle hésita un instant avant de répondre :
— Les hommes tels que mon fils ne voit malheureusement pas la beauté intérieure des femmes.
Ces paroles ne me contrarièrent pas. Je n'étais pas jolie et acceptais cet état de fait. Il me fallait, à l'heure d'aujourd'hui, beaucoup plus pour m'atteindre.
— Il ne sera donc pas tenté de vous séduire, Ronney, pour vous instrumenter par la suite. En revanche, il essaiera par de multiples façons de vous pousser à la démission. Il cerne vite les gens et trouve facilement leurs points faibles. Ces remarques sont...
— Je suis habituée aux remarques, madame Khan, et ce, depuis que je suis en âge d'avoir des souvenirs. La méchanceté je vis avec chaque jour. La seule chose que je peux vous assurer c'est que ce n'est pas les enfants les plus cruels, car contrairement à eux, les adultes le font avec malveillance. Regardez-moi. À votre avis, qu'est-ce qui peut m'atteindre ? J'ai déjà tout entendu.
Les mains jointes, elle me fixa longuement et m'offrait un visage aussi impénétrable que ses prunelles scintillantes.
— Voulez-vous ce poste ? finit-elle par lâcher d'une voix tranchante.
— Non !
Ma réponse ferme sans l'once d'une hésitation me surprit moi-même.
— Je vous laisse vos week-ends pour que vous puissiez continuer à exercer votre métier de doubleuse que vous avez l'air d'apprécier.
— C'est gentil, mais...
— Trois semaines de congés payés.
— Madame Khan, avec tout le respect que je vous dois...
— Une assurance de santé.
Je secouai la tête en me battant avec ma conscience.
— Et un salaire mensuel de douze mille dollars pour commencer.
J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit. C'était beaucoup d'argent.
— Ronney, pensez à votre frère. Le salaire couvrirait les frais médicaux et son traitement dont il a absolument besoin. Vous pourriez aussi aider vos parents avec les factures du restaurant.
Je remontai mes lunettes.
— Pourquoi moi ? Beaucoup de personnes tueraient pour avoir ce job. Je n'ai aucune compétence dans ce domaine.
— C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui n'est pas intéressé. Mon instinct me dit que vous allez changer les choses.
Madame Khan baissa la tête et rassembla des feuilles éparpillées un peu partout sur son bureau, le visage toujours fermé.
— Vous dégagez une aura que je n'ai encore jamais vue chez personne. Vous êtes sûrement ma dernière chance. Pouvons-nous maintenant parler des modalités, miss Jimenez ?
Le grand portail se referma sans bruit derrière moi. Le soleil, bas dans le ciel, indiquait que la nuit n'allait pas tarder à tomber. Quelle journée ! Bien sûr, le van avait filé sans m'attendre. Je saisis mon casque pour le caler sur mes oreilles puis mis en route mon baladeur pour entendre la voix d'Elvis Presley. Il était temps de quitter le quartier huppé d'Asylum et de retourner à Barkery District. À défaut de ne pas être en mobylette aujourd'hui, je décidais de commander un Uber.
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Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]
Roman d'amourRonney est une jeune femme introvertie au physique disgracieux. Elle vit très modestement dans un des quartiers les plus pauvres de Sheryl Valley, une ville gangrénée par la mafia au sud de la Californie. Sans diplôme, elle travaille dur dans le res...