Chapitre 19-2

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À l'étage, je me dirigeai dans la chambre de Ghita où je tombai sur un homme aimable ayant de peu dépassé la quarantaine, aux cheveux grisonnants. Il me salua et se présenta d'une manière charmante. Fatiguée et exaspérée par toute la cohue qui régnait en bas, j'oubliai son prénom dans la seconde qui suivit. Il appela alors une amie à lui qui sortit de la salle de bain. Cette fille, très jolie, grande et avec une belle chevelure rousse, claqua des mains en déclarant :

— Il n'y a rien non plus, ici. Je vais le dire aux autres.

L'homme me proposa de les suivre au rez-de-chaussée, mais je refusai poliment. Il posa ses yeux sur ma bouteille et demanda d'un air compatissant :

— Sale nuit ?

Je levai la bouteille devant moi et répondis dans un soupir :

— Sale réveil !

Je profitai d'être seule dans la chambre de Ghita, pour enfin me servir un verre. J'espérai oublier la douleur dans ma poitrine. Le brouhaha me parvenait d'en bas, mais je me concentrai sur le silence de la pièce. La chambre faisait pratiquement la taille de l'appartement que j'habitais avec Bergamote et Alistair.

Assise devant la coiffeuse, je me regardai dans le miroir. J'avais une sale mine, celle de tous les jours. Je bus une longue gorgée et fermai les yeux avant de les rouvrir quelques secondes plus tard. Il était temps d'en terminer avec cette histoire de disparition inquiétante.

— Ghita, sortez de ce dressing ou je viens vous chercher en vous tirant par les pieds !

Je n'avais pas besoin de crier, je savais qu'elle m'entendait. Je poursuivis d'un ton éreinté en me resservant un autre verre.

— La vie, c'est dur pour tout le monde ! Il y a des jours où c'est plus difficile que d'autres, je vous l'accorde. Je vous assure qu'aujourd'hui, c'est le cas pour moi. Mon cœur me fait mal à en crever et j'ai failli avoir droit, dès ce matin, aux détails de la soirée de Peter avec son club de branlette.

Un petit rire étouffé me parvint à cet instant du dressing. Je bus une gorgée et poursuivis :

— Je sais qu'à ma pause déjeuner j'aurai le droit à mon entraînement quotidien pour apprendre à marcher sur ces chaussures qui foutent mes chevilles en l'air à chaque fois. En plus de ça, je dois supporter tout au long de la journée les regards curieux sur mon passage des poupées de cire parfaites qui se demandent comment une femme comme moi arrive à se lever chaque matin avec ce visage-là. Ma vie est sens dessus dessous depuis que je suis entrée dans votre famille, il y a déjà quatre mois. Et pourtant, je n'ai jamais autant appris sur moi-même que depuis que je vous connais. Vous m'avez changée, en bien. La semaine dernière, j'ai enfermé mes deux cousines dans la chambre froide du restaurant de mes parents. Elles l'avaient mérité, ce sont deux vraies pestes, je vous assure. Ma mère est furax, elle m'en veut et le reste de ma famille aussi.

Je me levai et m'approchai du dressing à tâtons. Il était un peu plus petit que celui de Yeraz, mais assez grand pour se cacher dedans. Je ne mis pas longtemps à trouver Ghita, cachée derrière ses longues robes de soirée. Dans l'obscurité, j'aperçus son visage, ses grands yeux en forme d'amande et ses longs cheveux qui descendaient en cascade sur ses épaules. Son mascara avait coulé sous ses yeux en laissant la marque du passage de ses larmes sur ses joues.

Je m'assis à côté d'elle et attendis un long moment qu'elle parle.

— J'aimerais partir en vacances, dans un lieu où personne ne me reconnaitrait. Un lieu où aucun de mes gestes ni aucun battement de mes cils ne serait analysé et étalé dans la presse people. J'aspire à une vie simple, mais mon nom ne m'en donne pas le droit.

Ghita marqua une pause, puis continua de se confier :

— Cette nuit, j'ai encore fait une crise d'angoisse. J'ai l'impression d'être prise dans un tourbillon. Ça tourne, ça tourne et ça ne s'arrête jamais. Ma mère a peur chaque jour que mon frère se fasse descendre, mais elle oublie que nos vies sont autant en danger. Des fanatiques sont prêts à tout. Il n'y a pas une seule nuit où je n'ai pas peur pour nous, pour Yeraz. Je ne pourrai même pas te dire la dernière fois où j'ai réussi à m'endormir sans prendre un de ces foutus cachets.

Un silence retomba. Je décidai de prendre la parole :

— Mon petit cousin, Pedro, joue au tennis. Ça fait deux ans qu'il est licencié dans un club. C'est sa passion et ça le rend heureux. Mon oncle, José, a ouvert son commerce de fruits et légumes, il y a presque trois ans. Il arrive à nourrir correctement sa famille grâce à son affaire et ma mère prend des cours de couture dans notre association de quartier. Elle retrouve ses copines, c'est un moment où elle oublie le cancer de mon frère. Une bouffée d'oxygène pour elle.

Je tournai mon visage vers Ghita qui ne comprenait pas où je voulais en venir.

— Connaissez-vous le point commun entre tous ces gens ?

Elle fit non de la tête.

— C'est vous ! Tout a était financé par les actions que vous menez. Chaque gala de charité, chaque don, chaque apparition à la télévision a une conséquence sur nos vies. Vous rendez les gens heureux, Ghita. Voilà ce que vous faites.

Elle éclata en sanglots tout en essayant de parler en même temps. Son dernier mot ne fut qu'un long bredouillement informe noyé dans des hoquets de larmes. Elle enroula son bras autour de moi puis se calma au bout de quelques minutes.

— Merci, Ronney. Je suis désolée pour ce défi pourri lancé à Peter.

— Même avec tout l'or du monde, je ne pourrai jamais acheter votre grâce ni votre élégance. Je vais relever ce défi, mais j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous le faire gagner.

— Tu n'as pas besoin de tout ça, Ronney. Ne change pas.

Nous entendîmes soudain des pas dans la chambre. Je reconnus la voix d'Adèle. Elle s'adressait à quelqu'un sur un ton mauvais.

— Tout ça pour se faire remarquer ! Comme si nous n'avions que ça à faire de la chercher partout. Elle doit être en train de se prélasser tranquillement autour d'une piscine dans une villa du coin. Cette salope est bien trop gâtée. Heureusement qu'elle a ses gros seins et son gros cul pour vivre. Sans eux, cette écervelée ne serait rien.

Les pas s'éloignèrent. Ghita s'écarta de moi et avec le revers de sa main, sécha ses larmes.

— Mais pour qui se prend-elle ? m'insurgeai-je, choquée par les propos que je venais d'entendre.

Ghita m'adressa un demi-sourire et leva légèrement ses deux mains pour m'arrêter.

— Ne t'en fais pas, j'ai l'habitude. J'entends ses remarques tout au long de la journée, dès que j'ai le dos tourné.

J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit. Je compris à cet instant que l'on pouvait être beau ou moche, c'était pareil pour tout le monde. Ghita vivait à sa manière l'enfer que je vivais au quotidien. Elle n'était pas non plus épargnée par le mépris et le jugement des gens à son égard. Quelque chose en moi changea. Le regard que je posai sur elle n'était plus le même. Je voyais Ghita, je la voyais vraiment pour la première fois.

Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant