D'un geste machinal, je me décidai à jeter mon origami dans la poubelle de la cuisine. Timothy sourit pour signifier sa joie face à ma décision.
— Vous avez fait le bon choix, dit-il, le téléphone encore dans les mains. Les autres ne vous arrivent pas à la cheville.
Je remontai mes lunettes.
— Je suis complètement folle de faire ça. J'espère que je ne le regretterais pas.
Timothy allait me dire quelque chose, mais Yeraz entra à ce moment-là dans la cuisine. Ma bonne humeur se volatilisa aussitôt.
— Miss Jimenez, ma mère veut vous voir tout de suite.
Je regardai ma montre, ce n'était pas l'heure de mon rendez-vous. Avait-elle eu vent de mon intention de démissionner ? Avais-je fait une bêtise cette semaine ?
— Juste un souci avec mes sœurs, déclara Yeraz qui devinait mes pensées.
Nous nous regardâmes quelques instants. Savoir qu'il soignait sa vie mélancolique avec le son de ma voix me renvoyait une image totalement différente que je m'étais faite de lui au fil des semaines. Je restai pour lui, mais il l'ignorait.
— Très bien, je pars maintenant. Timothy, appelez-moi Isaac, s'il vous plaît.
— J'ai besoin d'Isaac, c'est mon chauffeur, répliqua sèchement Yeraz.
Il fronça les sourcils, attendant que je reprenne mon ordre pour en donner un autre à Timothy. À la place, je me dirigeai vers la sortie de la cuisine en réitérant mes paroles d'une voix appuyée tout en ne lâchant pas Yeraz du regard :
— Appelez-moi Isaac. Vous travaillez pour moi, Timothy.
Mon œillade assassine fonctionna. Je sortis de la pièce en laissant un Yeraz désorienté, complètement dépassé par la situation.
Dehors je faillis cracher mes poumons tellement que j'avais retenu ma respiration. Jamais de ma vie je n'avais pris autant mon pied. Mon pouls battait à cent à l'heure, mais cette fois-ci, c'était jouissif.
Abigaëlle m'accueillit soulagée. D'un geste esquissé, elle me désigna l'étage. Des cris provenaient d'en haut.
— Que se passe-t-il ?
La gouvernante, excédée, répondit :
— Montez vite, miss Jimenez. Les filles sont en train de s'entre-tuer.
Sans attendre, je me précipitai en haut de l'escalier sans prendre le temps de me débarrasser de mes affaires. Je parcourrai à grands pas le couloir en suivant les éclats de voix. Camilia sortit d'une chambre et agita ses mains en me voyant.
— Oh mon Dieu, Ronney. Ghita et Aaliyah sont en train de se quereller.
Avant d'entrer dans la pièce où les injures pleuvaient, je me tournai vers Camilia :
— Mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne sais pas comment arrêter cette dispute.
Nous nous baissâmes toutes les deux en même temps pour éviter une chaussure qui volait dans les airs. Je me décidai à entrer, le dos courbé, tous les sens en alerte.
Ghita tenait dans sa main une robe et de l'autre une chaussure qui pouvait lui servir de projectile. Aaliyah, les griffes sorties, s'apprêtait à bondir sur sa sœur.
— J'avais choisi cette robe avant toi, pétasse ! hurla Aaliyah.
L'objet de leur dispute ne pouvait pas se résumer à une robe. Il devait forcément y avoir quelque chose de plus grave derrière. Je pris une grande inspiration et m'interposai entre elles.
— OK, tout le monde se calme. C'est quoi le problème ? Je suis quelqu'un de complètement neutre et juste. Je trancherais.
— Ma sœur veut cette robe de chez Kalpitia, mais elle était pour moi. C'était convenu avec l'équipe.
Aaliyah s'adressa directement à moi pour répliquer aux paroles de Ghita, excluant complètement sa sœur :
— Elle n'en voulait plus ! Ghita en a même choisi une autre et elle veut soudain la reprendre. Je me suis déjà positionné sur cette robe pour le défiler de la Fashion Tradition à New York fin décembre.
— Mais c'est une blague, balbutiai-je.
Les mots m'échappèrent plus vite que je ne l'aurais voulu.
— Votre évènement est dans deux mois. Aaliyah, vous avez tout le temps d'en retrouver une autre, non ?
— Ronney, sais-tu au moins combien de temps il faut pour concevoir une robe de créateur sur mesure ?
— Celle-ci n'est pas à ta taille, intervint Ghita qui relança la dispute. Tu es plus petite que moi et sans formes.
Je soulevai un sourcil. Sans formes ? Le corps des deux sœurs était tous deux retouché et gonflé à bloc.
— Et si vous portiez la même robe ?
Les deux sœurs se tournèrent vers moi, l'air ahuri.
— Impossible, Ronney. C'est l'évènement de l'année avec le gala de Thanksgiving. Chaque créateur choisit sa muse pour la faire défiler dans la plus belle de sa création. Kalpitia m'a choisi. Ghita doit choisir son styliste et travailler avec lui. Le problème c'est que ma sœur est INCAPABLE de travailler. Ça a toujours été comme ça.
Ghita saisit d'un geste adroit le bras d'Aaliyah qui riposta en essayant de la mordre.
— Poufiasse ! Je t'interdis de dire une chose pareille. Ta grosse tête devrait dégonfler avec ton gros cul, hurla Ghita entre deux sanglots.
Elles en venaient maintenant aux mains. Camilia lança ses mains en l'air en suppliant ses filles d'arrêter leur querelle. Elle vint m'aider à les séparer, mais les deux harpies continuaient à s'échanger des coups et des insultes avec rage. Soudain, une main s'écrasa sur ma joue et fit voler mes lunettes à travers la pièce. Tout le monde se figea sur place et un silence assourdissant envahit la chambre. Je ne voyais plus rien. Je m'accroupis sur le sol et me mis à chercher à tâtons mes lunettes. Camilia, énervée, ordonna à ses filles de m'aider :
— Bravo, mesdemoiselles, vous pouvez être fier de vous !
— Là-bas, s'écria Ghita.
J'entendis des pas courir tout autour de moi.
— Merde ! chuchota Aaliyah.
Mon sang ne fit qu'un tour. Pourquoi personne ne parlait ? Debout, j'attendais impatiemment de pouvoir remettre mes lunettes sur le nez. À part des silhouettes, je ne distinguais rien.
— Oh non, Ronney. Je suis désolée, mais vos lunettes sont cassées.
La voix de Camilia était sans appel.
— Mais comment vais-je faire ? Je ne vois strictement rien.
Les larmes me montèrent aux yeux. J'étais paniquée à l'idée de devoir rester ainsi durant plusieurs jours.
— J'en commande tout de suite une autre paire, dit Aaliyah. Je mettrais l'argent qu'il faudra pour que tu les aies d'ici ce soir. Ghita, donne-moi le numéro d'un bon opticien.
Je rétorquai la voix pleine de sanglots :
— Non, non, ça ne marche pas comme ça. Il faut des jours pour recevoir les verres avec la bonne correction. Ce n'est pas un accessoire de mode.
Camilia posa une main sur mon épaule. Touchée par ma détresse et dans un éclair de lucidité elle s'exclama :
— Peter !
— Oui, Peter, reprit Ghita.
— Il n'y a que Peter qui peut arranger ça, déclara Aaliyah. Je l'appelle.
VOUS LISEZ
Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]
RomanceRonney est une jeune femme introvertie au physique disgracieux. Elle vit très modestement dans un des quartiers les plus pauvres de Sheryl Valley, une ville gangrénée par la mafia au sud de la Californie. Sans diplôme, elle travaille dur dans le res...