Elio passa une main devant son visage sans le toucher et me demanda :
— Tu as cassé tes lunettes ? La dernière fois que je t'ai vu sans, tu devais avoir six ans.
Je me revus à cet instant courir dans la cour devant la maison de ma tante Maria. Olivia et Hailey m'avaient pris des mains ma poupée, Ariel et elles s'amusaient à l'envoyer en l'air en se faisant des passes.
— Ronney, la bigleuse. Ronney, la bigleuse, criaient-elles.
Le croche-pied d'Olivia m'avait fait tomber sur les gravats coupants. Les verres de mes lunettes s'étaient brisés sous le choc. Cet acte complètement gratuit n'en était qu'un parmi toutes les vacheries et les méchancetés que j'avais subi de la part des autres enfants. Ce souvenir intact restait présent dans ma mémoire. Je gardais une peine infinie de mon enfance et de mon adolescence. Il n'y avait absolument rien d'heureux dans mon passé.
La voix de Yeraz s'invita dans mes pensées :
— Ronney ? Tout va bien ?
Il paraissait préoccupé. Je secouai énergiquement la tête.
— Oui. Pour mes lunettes, je dois les récupérer la semaine prochaine, normalement.
— Je te trouve très jolie comme ça, aussi.
Les paroles de mon frère me mirent mal à l'aise. Je baissai les yeux sur mon assiette.
— Arrête, murmurai-je, gênée.
— Si, je t'assure, petite sœur.
Sa main frôla mon visage et je décidai de me lever en évitant soigneusement le regard de Yeraz qui devait trouver la vue de mon frère bien moins bonne que la mienne finalement.
Madame Torres me rejoignit au buffet où je passai directement au dessert. Profitant du fait que nous nous retrouvions seules toutes les deux, elle s'adressa à moi :
— Bonjour, Ronney. Dis donc, c'est un beau mâle que tu t'es dégotée là.
Mon visage se tourna vers la femme de petite taille à la chevelure grisonnante bombée. Son visage noyé sous une couche de maquillage laissait à peine entrevoir l'expression de son visage. Madame Torres avait une soixantaine d'années et déjà cinq mariages à son actif. Il semblait que ce soir, cette cougar brillante comme une boule à facette avait jeté son dévolu sur monsieur Khan. Je lui aurais bien mis cette femme dans les pattes pour m'extirper de ses griffes, mais la présence de mon frère rendait les choses difficiles.
— Moi, j'ai toujours dit que tu trouverais chaussure à ton pied. Comme quoi le physique ne fait pas tout ! Ça va clouer le bec à tous les clients qui pensaient que tu ne serais jamais bonne à marier.
Je lui lançai un regard appuyé. Il me fallut mobiliser toute ma concentration pour ne pas laisser transparaître mon agacement sur mon visage. Elle continua :
— Qu'est-ce que vous aimez faire ensemble ?
La part du moelleux au chocolat arriva un peu brutalement dans mon assiette. La moutarde me montait au nez. Je répondis en articulant chaque mot :
— On baise, madame Torres !
La femme, scandalisée par mes propos, ouvrit la bouche en mettant une main sur sa poitrine comme pour prévenir d'une attaque cardiaque.
— Oui, comme des bêtes. Toute la journée et c'est le pied.
Je tournai les talons et repartis à ma place en laissant une madame Torres horrifiée sur place.
—Tu vas rater l'anniversaire de Carolina de peu, dit mon frère lorsque je me rassis.
Je le regardai les yeux ronds en ne comprenant pas ses propos.
— Giovanni vient de me dire pour son voyage d'affaires. Tu l'accompagnes pendant trois jours sur l'île de Los Cabos et tu ne comptais rien nous dire.
Mon frère m'annonçait cette nouvelle dans une vive exclamation. Je vrillai mon regard dans celui de Yeraz. Ma tension monta d'un coup. J'émis un petit rire étrange.
— Non, ce n'est pas dans le programme.
— Ma douce, j'ai besoin de toi. Tu sais bien que je ne parle pas espagnol.
Ne m'appelle pas comme ça ! Pendant que je lui faisais les gros yeux, il m'observait avec un sourire triomphant aux lèvres. Quelle ordure ! Je plantai ma fourchette dans mon moelleux avec un peu trop d'énergie.
— Ronney était ravi de la nouvelle. Partir loin d'ici lui fera le plus grand bien.
Yeraz ne me laissait pas placer un mot. La mine déconfite, j'eus du mal à faire passer mon morceau de gâteau dans la gorge. Rien que l'idée de passer trois jours avec lui à subir ses remontrances me déprimait déjà.
Ma mère et mon père choisirent ce moment pour venir saluer mon salaud de fiancé. Ils étaient tellement heureux de cette relation et couvraient à chaque fois Yeraz d'éloges quand je passais les voir, seule, au restaurant en dehors de mes heures de travail.
Le jeune homme s'anima au cours de cette conversation en famille, bien plus qu'au cours de ces dernières semaines d'ailleurs. Je me retrouvai coincée une fois de plus dans ses filets.
La soirée se finit dans les rires et les accolades chaleureuses. J'avais hâte que cette mascarade se termine. J'aurais encore bien des choses à raconter à Bergamote et Alistair demain soir, en haut sur le toit.
Dehors, la brise fraiche s'infiltra en dessous de mes vêtements m'arrachant un frisson. Enfin seule avec lui, je pouvais me laisser aller.
— Los Cabos ? Yeraz, es-tu vraiment sérieux ?
— Ne commence pas, Ronney. Si j'avais eu le choix, j'aurais choisi quelqu'un d'autre.
Je reculai mes épaules et agitai mes bras dans les airs.
— Mais prends quelqu'un d'autre et fous-moi la paix ! Je ne veux aller nulle part avec toi.
— C'est une île mexicaine. Je dois être accompagné d'une personne qui parle espagnole.
— Paye un interprète !
— Fais ton putain de boulot. Tu viens avec moi et il n'y a rien à discuter.
La colère glaciale dans sa voix me figea sur place.
— Je verrai ça avec Camilia.
Un rire bref, chargé d'amertume s'échappa de lui.
— Si tu ne viens pas, ce sera Ashley. Crois-moi, le choix de ma mère sera vite fait.
Nous nous affrontâmes un long moment du regard comme deux cowboys. J'avais de plus en plus froid. Je décidai d'en terminer là pour aujourd'hui. J'enfouis mes mains dans mes poches et m'éloignai de Yeraz pour rentrer à pied. Malheureusement, il me rattrapa et m'agrippa par le bras pour m'obliger à me retourner vers lui. Mes larmes me montèrent aux yeux. Il se recula avec un mouvement de surprise.
— Je suis si fatiguée de me battre avec toi.
Ma voix avait tremblé. Yeraz semblait soudain pris de remords. Son souffle parut un instant se suspendre dans sa gorge.
— Je le suis aussi. C'est toi qui ne veux pas laisser tomber ce poste et je n'ai qu'une parole. Je ne reviens jamais dessus. À demain.
En soupirant à fendre l'âme, je dus me résigner à l'idée de passer un samedi de plus en sa compagnie. Il releva le col de sa veste et déclara avant de partir de son côté :
— Isaac t'attend au coin de la rue. Il te ramènera.
Le timbre de sa voix teinté d'une lueur coupable résonnait dans ma tête. Au loin, sa silhouette inquiétante se découpait dans l'obscurité de cette nuit sans lune.
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Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]
RomanceRonney est une jeune femme introvertie au physique disgracieux. Elle vit très modestement dans un des quartiers les plus pauvres de Sheryl Valley, une ville gangrénée par la mafia au sud de la Californie. Sans diplôme, elle travaille dur dans le res...