Les meubles de la chambre n'avaient pas bougé depuis mon départ. Le vieux tissu jaunâtre sur le mur commençait à se détacher à certains endroits. D'ici, je pouvais entendre les bruits et les voix me parvenir du restaurant. La chambre comme toutes les pièces sommaires de l'étage n'était quasiment pas isolée, mais dans le Bakery District c'était courant. Les logements de ce quartier étaient réputés pour la plupart insalubres du fait de sa pauvreté. Mon logement, que je partageais avec Bergamote et Alistair, ne dérogeait pas à la règle.
— Que fais-tu près de la fenêtre ? Tu contemples les étoiles ?
Mon frère apparut dans la pièce, un bonnet sur la tête. Les cernes violacés autour de ses yeux montraient à quel point il était épuisé par ses séances de chimiothérapies qu'il devait désormais enchaîner. Malheureusement, la radiothérapie n'avait pas eu l'effet escompté sur lui. Mon cœur se serra.
— Oui, tu sais comment est ta pauvre sœur : une éternelle rêveuse. J'aime faire des vœux et croire qu'ils se réaliseront un jour.
Un sourire arriva à peine à illuminer son visage blême. Il s'assit sur son lit pour économiser ses forces.
— Tu sais, quand je serais là-haut, je les réaliserais, moi, tes vœux.
À mon air, il comprit qu'il avait mal choisi ses mots. Je plaquai ma main contre ma bouche pour étouffer mes sanglots et me retournai vers la fenêtre.
— Ne dis pas ça, murmurai-je, la voix chevrotante.
— Ronney, je suis désolé. Les parents et toi mettez tellement d'espoirs dans ma guérison que vous en oubliez le plus important.
— Qu'est-ce qui est plus important que ça ?
Ma voix me parut soudainement extrêmement sèche.
— Mais vivre ! C'est ça que vous devez faire. Va explorer le monde, Ronney. Construis-toi des projets. Trouve l'amour.
Je haussai les épaules et secouai la tête avant de tirer la chaise qui se trouvait près du bureau sur ma droite pour m'asseoir face à Elio.
— Papa ne t'a rien dit ? Red Chanel envisage de m'employer à plein temps. C'est pour un gros projet avec beaucoup d'argent à la clef. Nous pourrons enfin payer les frais de ton traitement.
Elio leva les yeux au ciel, respira à grand coup avant de me fixer longuement avec un air sévère.
— C'est hors de question que tu acceptes quoi que ce soit juste pour mon traitement. Ronney, tu es de ces gens rares pour qui l'argent demeure sans saveur. C'est une de tes nombreuses qualités. Ne change pas ça, s'il te plaît.
Je répondis juste de la tête afin de ne rien lui promettre ni lui mentir davantage. Il se tut quelques secondes puis changea de sujet :
— Il y a la cousinade dimanche après-midi, chez tante Maria. Tu n'as pas oublié ?
Un petit grognement s'échappa de ma gorge et je fis une grimace en mettant mes deux mains sur les yeux.
— Non, je n'ai pas oublié. Je déteste toutes ces cousinades avec la famille. Il y aura Caleb avec Carolina.
— Caleb est un imbécile ! C'est lui qui a perdu au change. Si j'avais assez de force, je lui écraserais sa jolie petite gueule contre le mur.
— Les sentiments, ça ne se contrôle pas. Les choses qui doivent arriver arrivent. Je ne lui jette pas la pierre, ni à lui ni à Carolina. Demain j'ai mon rendez-vous chez l'orthodontiste.
— Cette camée est un escroc. Combien lui as-tu donné depuis toutes ces années ? Elle invente toujours une excuse pour ne pas t'enlever cet appareil dentaire.
Je contemplai ma montre et remontai mes lunettes avant de me lever difficilement de ma chaise pour aller embrasser mon frère. Il était temps pour moi de rentrer.
— Je lui demanderais demain quand elle compte me le retirer. Qui sait, peut-être que demain est le grand jour ?
Avant de franchir la porte, Elio m'interpella :
— Maman aurait dû prendre plus souvent ta défense face à notre famille, mais aussi face à ce Bryan. Tout ce que tu as enduré, c'est... ce n'est pas normal.
Après un court silence, je quittais la pièce où régnait à l'intérieur une odeur de tombe. Les derniers mots de mon frère m'avaient ébranlé.
Dans ma chambre, je lisais et relisais ces notes prises à la réunion de ce matin. Une dizaine de pages de dessins, de signes et de ratures s'étalaient sur les feuilles blanches. Je pris une bouchée de mon sandwich préparé par Bergamote qui s'était doutée que je ne resterais pas à table avec eux, ce soir. Alistair et elle n'étaient pas des colocataires envahissants et bavards. Une qualité que j'appréciais beaucoup chez eux. Cependant, je savais qu'ils attendraient le week-end pour me poser toute sorte de questions sur ma semaine et plus particulièrement, sur Yeraz Khan.
Je remontai mes lunettes puis commençais à essayer de deviner la signification de chaque symbole. Une tâche minutieuse qui allait s'ajouter à mes longues journées harassantes de travail. Mon compte rendu pour Camilia devait être prêt pour vendredi. Mon ressenti à cet instant était une impression de tomber dans un tourbillon obscur et sans fin.
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Ugly Ronney T1 : mafia romance [Français]
RomanceRonney est une jeune femme introvertie au physique disgracieux. Elle vit très modestement dans un des quartiers les plus pauvres de Sheryl Valley, une ville gangrénée par la mafia au sud de la Californie. Sans diplôme, elle travaille dur dans le res...