Nephtis s'impose

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Gilda avait assisté au début de l'après-midi d'enseignement dispensée par Jaody, avant de se rendre auprès d'Eris dont elle devait surveiller les leçons avec ses précepteurs. Ainsi, au cours de « service » avait succédé une leçon de danse extrêmement ennuyeuse.
Une telle après-midi avait suffi à lui donner le mouron: entre ceux que l'on conditionnait à devenir de parfaits esclaves, et celle destinée à devenir une royale plante verte, elle en avait sa claque. Devoir agir envers ses enfants comme envers de parfaits étrangers mettait aussi son mental à rude épreuve.

Les futurs serviteurs avaient commencé par les bases : rentrer dans les chambres des maîtres pour prendre le linge sale tout en discrétion, porter une collation... Puis l'elfe leur avait montré les (fausses) armures médiévales du manoir et avait dispensé un cours de nettoyage avec travaux pratiques. Un programme parfait pour une école de domesticité et satisfaction garantie pour son dirigeant.
Pourtant, quelque-chose avait paru étrange à Gilda dans la manière dont Jaody dispensait son enseignement. L'elfe semblait en effet inculquer aux enfants, outre des principes moraux de serviteurs dévoués, des combines pour survivre en milieu hostile, ainsi que des astuces. Elle ne lui en voulait pas, loin de là, mais c'était étrange. Gilda se demandait même s'il n'avait pas usé de ces mêmes astuces avec Ignacius, gagnant ainsi son respect.
Si tel était le cas, chapeau. Et elle n'avait pas la moindre intention de le dénoncer.

« Je n'aurais jamais cru que les choses prennent un tel tour » songea t-elle en son fort intérieur.

A cinq heure, les enfants bénéficiaient d'une pause et elle en profita pour descendre les surveiller alors qu'ils jouaient dans la cour arrière du château. Jaody s'était assis près d'elle et ils se mirent à discuter de l'après-midi, la jeune femme demandant à l'elfe ce qu'il pensait de ces premières leçons.
- Je n'aurais jamais cru que les deux petits cracmols me mettent à l'amende sur l'entretien d'armures. Soupira t-il épuisé.

Comme Gilda lui lançait un regard interrogateur, il poursuivit :
- Ces deux-là, dit-il en désignant deux enfants métis. Ils ont des parents qui pratiquaient la reconstitution médiévale dans le monde moldu. Heureusement que le maître n'a pas entendu la jeune fille commenter sa collection, il aurait été vexé.
- Ces armures n'ont rien d'historique et il le sait très bien, répliqua Gilda.
- Certes, et du haut de ses huit ans cette demoiselle a été capable de relever une dizaine d'incohérences dans leur assemblage. Et ils m'ont même appris des choses sur l'entretien.
- Cultivée, remarqua Gilda.
- Je les ai tout de même repris, tempéra l'elfe. Par les temps qui courent, il est dangereux pour eux d'étaler leur savoir, d'ailleurs Federica en a rajouté derrière moi.
- Et Federica d'ailleurs, qu'en penses-tu ?

Jaody hésita un instant avant de répondre :
- Elle tient le coup, ce sont les enfants qui la tiennent. Mais c'est quelqu'un qui va mal à l'intérieur, je pense que les détraqueurs ou d'autres créatures des ténèbres lui ont fait beaucoup de mal.
- Quel genre de créature ? Demanda Gilda à la fois alarmée et intriguée.
- Je suis incapable de le dire, répondit l'elfe.

Gilda était de plus en plus convaincue qu'il ne lui disait pas tout, mais elle n'insista pas. Jaody, soumis à l'autorité d'Ignacius, ne devait pas pouvoir la renseigner davantage sans prendre lui-même des risques. Ou bien ce qu'il avait perçu était trop intime pour qu'il le partage.
Federica se tenait au milieu des enfants et surveillait leurs faits et gestes. Elle semblait encore plus épuisée que Jaody, aussi Gilda lui fit-elle signe de s'approcher et l'invita à s'asseoir sur le muret avec eux. Elle-même se leva et parcourut la cour, reprenant quelques enfants un peu trop agités, Moon notamment qui criait avec la jeune Irene. Elle en profita pour questionner la fillette sur ses origines :
- Ma mère est une vélane, répondit l'enfant. Mais ni son peuple, ni les sorciers n'acceptent les métis, c'est pour ça qu'on a été à Azkaban.

« Voilà un résumé de la situation simple et pertinent » songea Gilda avec tristesse, avant de se tourner vers le garçon métis dont la sœur avait commenté la collection d'armures :
- Et toi et ta sœur ? Pourquoi y avez-vous été envoyé ?
- Parce qu'on n'est pas sorciers, répondit-il timidement.
- Notre mère travaillait au ministère, ajouta sa sœur, la dénommée Livia. Mais ses parents étaient moldus et notre père aussi. Les raffleurs nous ont capturés et notre père est mort dans l'attaque. Ils ont pris à ma mère sa baguette et ils nous ont envoyés en prison.
- C'était affreux là-bas, compléta le garçon. Si votre mari n'était pas venu nous sauver, on serait tous morts.
- Vous n'allez pas nous renvoyer là-bas ? Hein ? S'inquiéta Judith, la petite sœur d'Irene.

Gênée, Gilda secoua la tête et détourna le regard, faisant mine de regarder le ciel à présent sombre. Elle allait donner le signal du retour à l'intérieur lorsqu'elle vit Eris, au balcon de sa chambre, en train de regarder le groupe avec envie. Son cœur se serra imperceptiblement. A présent qu'elle commençait à connaître la fillette, elle savait combien la solitude lui pesait. Malheureusement ces enfants qu'ils recueillaient n'étaient pas destinés à devenir des amis pour elle. Ignacius n'aurait pu le tolérer, d'ailleurs il était en train de discuter avec Jaody et Federica qui s'étaient levés à son approche. Comme il leur désignait discrètement la jeune Joy, elle comprit qu'il évoquait la modification de mémoire qu'il lui avait fait subir.
Federica semblait tendue à l'extrême et fixait un point sur le côté pour éviter de regarder Ignacius. Gilda ordonna aux enfants d'aller se laver les mains pour le repas et rejoignit son le groupe. La femme en profita pour s'éloigner avec les enfants.

Ceux-ci mangeaient tôt : à cinq heure et demie pendant que le repas des maîtres finissaient de cuire. Puis, deux d'entre eux à tour de rôle faisaient le service tandis que deux autres commençaient la vaisselle sous la surveillance de Federica. Le reste du groupe suivait Jaody pour des petits travaux tels que l'astiquage de l'argenterie ou des étains, le reprisage des rideaux, le tri des légumes... Ces tâches finies, venait le temps de la toilette puis du coucher vers vingt heure trente, vingt heure pour les plus jeunes qui se lavaient en premier.

Nephtis vint visiter Ignacius, Eris et Gilda juste après qu'ils aient eu mangé, alors que Marc et Joy débarrassaient. Fébrile, tendue et impatiente, elle voulait des nouvelles de « l'investissement ».
Ignacius lui conta par le menu le déroulé de la journée, demandant par moment à Gilda de compléter son récit.
Curieuse, Nephtis fit approcher les deux jeunes serviteurs qui finissaient de débarrasser la table. Ceux-ci s'inclinèrent en parvenant à sa hauteur, elle demanda une tisane puis leur posa une série de questions, histoire de vérifier l'enseignement qui leur avait été donné. Enfin, elle les laissa repartir et ils s'empressèrent de remonter dans leurs dortoirs après avoir fini leur travail.

- C'est bien beau, commenta t-elle alors sur un ton sceptique. Mais j'attends de les voir véritablement à l'ouvrage. L'enseignement que tu leurs donnes n'est-il pas trop théorique ?
- Chaque chose en son temps, répliqua Ignacius. Les plus grands auront bientôt douze ans et je les enverrai dans quelque famille de ma connaissance afin qu'ils servent en temps qu'apprentis domestiques quelques semaines. Cela fait, nous pourrons les vendre à de respectables maisons afin qu'ils servent. Je souhaite également que les jeunes filles se forment en nursery afin d'être de potentielles bonnes d'enfants, une bonne alternative aux elfes de maison je trouve.
- Et quelle spécialité pour les garçons dans ce cas ? Demanda Nephtis.
- Entretien des espaces verts et soin aux créatures domestiques magiques.
- Cela me semble correct, voyons maintenant l'application, répondit la matriarche d'un air plus poli que convaincu.

Nephtis n'avait plus du tout l'air enthousiaste qu'ils lui avaient trouvé la veille. Gilda, se sentant de plus en plus mal à l'aise, n'osait rien dire. Ignacius lui avait révélé que sa mère savait qu'il avait récupéré Sebastian et Moon et elle redoutait le moment de l'inévitable confrontation. Soudain, Nephtis lui demanda sans détour sur un ton presque léger :
- Et les vôtres ? Allez-vous donc me les présenter ?

Gilda crut d'abord avoir mal entendu, le visage interloqué d'Eris démentit cependant vite cette première impression et elle répondit sur un ton qui se voulait ferme :
- Déjà couchés, comme tous les autres.
- Je souhaiterais les voir, insista cependant la matriarche d'une voix doucereuse. Mais Gilda ne comptait pas se laisser faire.
- Vous savez comme moi que les relations que j'entretiens avec eux sont soumises à des règles très strictes. Je ne les enfreindrai pas pour vous. Vous saurez qui sont mes enfants lorsque j'aurai l'occasion de vous les désigner, sans que cela n'éveille l'attention.

Avec une grimace de frustration, Nephtis se tourna vers sa petite fille qui lui répondit d'une voix égale :
- Je ne sais pas non plus qui ils sont.
- Vous voyez mère ? Intervint Ignacius sans dissimuler son agacement. Même la légilimencie ne pourra pas vous renseigner.
- Envoie ta fille se coucher, répliqua la vieille femme à son fils. Nous devons parler entre adultes.

Eris ne se le fit pas dire deux fois : elle se leva avec empressement, embrassa tour à tour les trois adultes et disparut bientôt dans les étages. Nephtis attendit d'être sûre qu'elle ne puisse pas les entendre pour s'adresser au couple d'une voix sévère :
- Au delà de la fortune que vous pourriez bien amasser dans cette histoire, avez-vous seulement pensé à cette petite ? Ignacius, as-tu sondé son esprit depuis hier soir ?
- Je n'ai pas recours à cette pratique, répliqua le quadragénaire. Vous le savez très bien mère.
- Dans ce cas mon fils, je vais un peu éclairer ta lanterne : cette enfant a toujours souffert de la solitude et agiter sous son nez une quinzaine d'enfants de son âge avec lesquels elle ne peut se compromettre ne va pas arranger les choses.
- Je croyais que vous m'approuviez dans cette démarche, répliqua Ignacius, à présent proche de la colère.
- Je n'ai jamais dit le contraire, mais je n'avais pas pensé à l'impact que cela pourrait avoir sur Eris... Et puis la nuit porte conseil comme on dit.

Elle fit une pause avant d'ajouter d'une voix peu amène :
- Vous savez l'un autant que l'autre ce que je pense de votre union. C'est une mésalliance et une source de scandale. J'espère au moins que l'enfant qui va naître sera à la hauteur de la réputation de cette famille.
- Laquelle ? Répliqua soudain Gilda. La scandaleuse ou la respectable ?

Nephtis la foudroya du regard mais elle ne se démonta pas :
- Vos propos ne vous font pas honneur Nephtis, et je vous signale que votre discours devient totalement incohérent.
- Pas si vous me laissez finir, ma bru. Je disais donc que j'espérais que l'enfant qui va naître fasse honneur à la réputation de cette famille. Et j'ai des raisons d'espérer qu'il aura de bonnes facultés concernant l'occulmencie, une des rares qualités que sa mère pourrait lui transmettre.

Gilda pâlit. C'était la première fois qu'il était fait mention de sa résistance à la légilimencie. Elle répliqua cependant d'une voix peu assurée :
- Mon esprit est perturbé par un excès de modifications de la mémoire. Cela n'a rien d'héréditaire, Nephtis.
- Votre mère, votre frère et votre sœur sont comme vous Gilda, sans parler d'une de vos tantes... Et ce ne serait pas héréditaire ?
- Qu'est-ce que vous me racontez ? S'agaça la jeune femme.
- J'ai longtemps côtoyé votre mère qui est un peu plus jeune que moi. Au delà de toutes ses limites, elle a toujours eu une particularité non négligeable : celle d'être impénétrable par tout legilimens. C'est également votre cas et celui de membres de votre famille.

Gilda faillit la contredire mais se ravisa juste à temps : à sa connaissance, une seule personne avait pu sonder son esprit depuis ce qui était arrivé à Yannick : Severus Rogue. Elle ne comptait certainement pas parler de lui ici et se contenta de rappeler :
- Je ne suis pas imperméable à la légilimencie. Ma mémoire a été modifiée lors de l'assassinat de mon premier mari.
- Il est vrai que ce détail est assez perturbant, cependant aujourd'hui vous avez révélé cette particularité et cela nous permet d'espérer que vous puissiez la transmettre. Maintenant, passons au véritable motif de ma visite.

Gilda remarqua qu'Ignacius s'était soudain tendu, mais la vieille femme poursuivait déjà :
- Je ne compte pas laisser Eris perdue au sein de cette maison.
- Il est hors de question que je vous laisse l'emmener avec vous ! S'écria soudain Ignacius. Nous en avons déjà discuté à la mort de Hortense.
- Silence mon fils ! Si tu ne me laisses pas finir ma phrase, nous n'arriverons à rien. Je suis venue ici pour t'annoncer que je m'installe au manoir jusqu'à nouvel ordre.
- Comment ?!
- Tu m'as parfaitement comprise. Je superviserai ainsi l'éducation de ma petite fille, ce qui soulagera ton épouse et ma conscience. En outre, j'apporterai un brin de crédibilité à votre audacieuse entreprise, ce dont elle a grand besoin d'ailleurs.

Comme les deux autres restaient interdits, la matriarche ajouta d'un air supérieur :
- J'ai déjà avisé quelques connaissances de mon implication dans ce projet et leur ai proposé les services futurs de nos jeunes pensionnaires... Comme vous ne l'ignorez pas, mon activité au service ministériel de la régulation des elfes m'octroie un genre de statut d'experte pour tout ce qui touche à la domesticité. Bien, puisque nous nous sommes tout dit, je vais m'installer dans mes appartements. Envoie-moi Jaody je te prie Ignacius.

Sur ces paroles, la vieille femme se leva et monta les escaliers en direction des chambres. Ignacius attendit qu'elle aie disparu pour marmonner à Gilda :
- Croyez Madame, que cela me contrarie tout autant que vous.

Severus et la rose blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant