Nuit blanche à Poudlard

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Il est onze heure du soir. En soi, ce n'est pas bien tard. Il veille souvent beaucoup plus, que ce soit au dessus d'un chaudron mijotant ou à la lecture d'un manuscrit. Autrement, il se couche tôt, quitte à se réveiller au beau milieu de la nuit, travailler une heure ou deux puis se recoucher.
Et pourtant, il sait que cette nuit le sommeil ne viendra pas. Il le sent à la tension dans son corps, au bourdonnement dans sa tête et à ses pensées qui s'égarent et tourbillonnent inlassablement.

Il déteste ces nuits dont il ressort toujours épuisé. Avec l'âge, c'est devenu un véritable supplice. Il connaît la routine. Au petit matin, lorsqu'il s'éveillera après moins d'une heure d'assoupissement, il sera brisé, tout le corps douloureux, le visage bouffi et luttant pour garder les yeux ouverts. Et, pire que tout, ses pensées le poursuivront toute la journée, envahissant le moindre moment de calme et l'empêchant de se reprendre. Il se plongera dans l'activité la plus intense pour les faire fuir. Il s'épuisera, se tuera littéralement à la tâche pour s'assommer et tomber comme une masse le soir venu. Il lui faudra plusieurs jours pour s'en remettre.

Un trait, une idée germe soudain dans sa tête. Il repousse ses couvertures, se lève, s'habille, passe un coup d'eau sur son visage.
Il est onze heure du soir, et demain sera son jour de relâche, où personne n'osera venir le déranger. Il sort de ses appartements, monte à l'étage jusqu'au bureau directorial. Il sait parfaitement ce dont il a besoin et c'est avec un regard de convoitise qu'il saisit la pensine à deux mains.
Ô Merlin, pas ici ! Il sait qu'il ne doit pas prendre la moitié d'un risque. Et c'est en tenant l'objet à deux mains qu'il redescend dans ses appartements.
Alors qu'il tourne à l'angle des cachots, il se retrouve soudain nez à nez avec une silhouette trapue.

Amicius... Il étouffe un soupir de soulagement, croiser Filius ou Minerva aurait été beaucoup plus problématique. Au lieu de lui réclamer des explications, le mangemort se contente de le saluer, vaguement interrogateur.
- Amicius, lui ordonne Rogue en guise d'explication. Il me serait très désagréable d'être dérangé demain. A partir de maintenant en fait.
- Oui, bien sûr, répond l'homme d'un ton servile.

Assuré d'être obéi, Severus peut continuer son chemin. Il entre dans ses appartement avec un soupir de soulagement et de satisfaction. Aussitôt la pensine posée sur la table basse, il s'assoit dans un fauteuil et entreprend l'extraction difficile d'un souvenir qu'il garde enfoui depuis plus de deux ans.
Enfin, ses efforts sont récompensés ! Il plonge délicatement le filament argenté dans la Pensine et après l'avoir regardé tournoyer pendant quelques secondes, plonge à son tour.

Ambiance idyllique, bien qu'il ne soit pas du genre à ressasser ses souvenirs, bons ou mauvais. Il savoure le moment qu'il lui est donné de revivre.
On est dimanche, au début du printemps. Avec Gilda et ses enfants, ils viennent de sortir se dégourdir les jambes dans le parc avant d'aller manger. Il tient la jeune femme par l'épaule et ils déambulent lentement tandis que Sebastian s'approche innocemment du lac et que Moon cherche désespérément à attirer l'attention de sa mère par toute une série de mimiques, minauderies et sollicitations diverses. Et Gilda le voit très bien quoiqu'elle tente de partager son attention entre les deux enfants, d'autant que Sebastian lui semble un peu imprudent.
Alors que le quatuor progresse à quelques mètres de lui, Severus se voit hausser un peu le ton pour enjoindre au jeune garçon de cesser d'envoyer des cailloux dans le lac. Ils savent très bien ce qu'il cherche : voir sortir le calamar géant.
Au sommet du talus derrière eux, quelques gloussements de filles parviennent à ses oreilles. Ah, les ragots qui ne manquent pas de se répandre depuis quelques semaines. Et Lavande Brown qui mène la danse se trouve particulièrement bien renseignée. Elle a tenu à l'aide de ses amies tout aussi superficielles qu'elle, un compte-rendu précis des moindres faits et gestes des deux professeurs. Au moins une chose que cette gourde aura réussi à faire. Il n'a pas pu s'empêcher de lui dire qu'elle ferait des merveilles en temps que détective privé, le jour où il l'a convoquée et sommée de cesser tout de suite ce genre d'activité.
Il ne peut pas l'accuser d'avoir désobéi. Elle a tout délégué à Padma Patil.

A vrai dire, à l'heure actuelle, il ressent souvent une bouffée d'affection pour la jeune fille. Il n'y croit pas d'ailleurs, quand il y pense.
Et pourtant, de tous les souvenirs qui ont ressurgi à la mort d'Albus, bien peu étaient aussi agréables que celui qu'il est en train de revivre, en suivant le quatuor heureux qui se rend à la grande salle pour manger.

Il aurait perdu pratiquement tous ces moments passés à vivre, si un journal « anonyme » détaillant ses faits et gestes pendant plusieurs semaines, écrit à trois mains, ne s'était retrouvé sur son bureau après un cours de quatrième années Griffondor/Poufsouffle. Il n'a pas cherché à savoir quel élève exactement a eu l'outrecuidance et le courage de poser ça là. Il sait quelle organisation est derrière cela, puisqu'il couvre certains de ses agissements et qu'il prend garde à ne pas dévoiler ce qu'il sait sur la salle qui leur sert depuis quelques jours de QG.

Avant ces dernières semaines, il n'aurait jamais cru éprouver un jour de l'affection pour le petit groupe. Et pourtant, le cadeau du carnet l'a profondément touché. Il l'a lu, relu, faisant ainsi remonter en mémoire ces moments si précieux qu'il croyait perdus à jamais.
Il sait ce qu'il est advenu de Gilda, il a appris avec horreur la capture et l'enfermement de ses enfants. Et il a béni Ignacius de son action rapide.

En cette nuit de décembre, il avait besoin de vivre, de reprendre espoir. Et c'est le cœur un peu regonflé qu'il va se recoucher.
A peine la tête posée sur l'oreiller, il s'endort. Il sait qu'il va se réveiller, reprendre le fil de cette journée, peut-être même d'autres. Et il savoure d'avance les heures qui vont suivre, avant de sombrer dans le sommeil le plus réparateur qu'il aie connu depuis deux ans.

Severus et la rose blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant