La famille Klein

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Minuit, Nephtis lui avait dit Minuit dans la salle des armories, avant de rajouter sur ce même ton énigmatique : « Chez vous le sublime de la provocation se mêle à la candeur qui caractérise votre positionnement, mais je compte bien voir ce qui se cache sous cette apparence de petite rebelle ».
Federica était arrivée avant, aussitôt les petits couchés. Si elle redoutait la confrontation, cette perspective ne la paralysait plus comme avant. Étrange à dire, mais défier frontalement les héritiers Malefoy sur ce conte clairement tourné dans le sens contraire du vent avait dissipé la crainte qu'elle éprouvait envers eux. Elle savait depuis des années quel rôle les partisans de Celui dont on ne doit pas prononcer le nom avaient joué dans la Forêt Noire et au sein même de l'Europe centrale. Dans cette région déjà ravagée par Grindelwald, la société magique était d'une complexité sans nom. Pourtant c'était aussi l'une des plus métissées au monde.
Elle se disait qu'au moins avec ça, Ignacius Malefoy était suffisamment échaudé pour cesser de s'intéresser à elle. A présent Federica déambulait dans la salle des armoiries, et cherchait à comprendre la réaction à fleur de peau du châtelain.
Elle examina de près l'arbre généalogique légèrement lumineux et les blasons qui s'y rapportaient, jusqu'à ce qu'elle le trouve enfin : Abraxas Malefoy, le défunt mari de la matriarche. Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre : celui-ci était représenté par un corbeau... Un corbeau nommé Abraxas, comme dans le conte « Die kleine Hexe », le trouble de la matriarche et de son fils cadet s'expliquait donc.

Federica n'avait pas formulé cette pensée que la voix de Nephtis Malefoy retentit derrière elle, sévère et froide mais non sans une pointe d'anxiété :
- Au début, j'ai vraiment cru que vous vous moquiez de nous. Mais il a bien fallu que je me rende à l'évidence : le conte que vous avez chargé ces enfants de narrer est bien réel, tout comme le lien que vous entretenez avec lui.

Federica se retourna pour la voir fondre sur elle, furieuse :
- Qui êtes-vous exactement ? Gronda la vieille femme soudain menaçante.

Nephtis Malefoy avait brandi sa baguette sous son menton et lui appuyait sur la gorge. Federica articula avec peine :
- Je suis Federica Scott... Née Gobeplanche. Vous le savez déjà.
- Ce qui m'intéresse n'est ni la famille de votre père, ni celle du porc moldu qui vous a servi de mari...
- Ne parlez pas de lui comme ça.
- Le nom de votre mère ! C'est lui dont je veux parler : Maria Klein était une préfète de Poudlard de mon temps, vous savez ?
- Et alors ? Répliqua Federica.
- Klein ! Répondit Nephtis triomphante. Vous descendez des Klein, ce qui fait de vous...
- Une descendante de Kleine Hexe, l'enchanteresse de la Forêt Noire Mrs Malefoy, oui.
- Vous devez être folle pour oser vous en vanter dans cette maison.
- Sûrement oui.
- En avez-vous au moins les dons ?
- Je suis sa petite fille, et comme elle j'aime les moldus. Mon mari en est un, mon fils aussi.

La vieille femme la lâcha en soufflant d'agacement face à sa réponse moqueuse :
- Jusqu'à ce soir, dit-elle dans un souffle. Je n'aurais jamais cru que l'enchanteresse ait eu une descendance.
- Pourtant c'est le cas. Elle est devant vous et vous disiez pourtant connaître ma mère.
- Je n'avais pas fait le lien. Et je m'attendais encore moins que l'inconscience de mon propre fils ramène cette descendance au château ! On aura tout vu, avec le Seigneur des Ténèbres à nos portes, quinze gamins nés-moldus et une traître à son sang dans le château ! Et je ne parle même pas du bébé à naître !
- Deux traîtres à leur sang, si l'on m'inclut, répondit Federica. Je comprends que cela soit anxiogène pour vous. Mais puis-je vous demander pourquoi vous m'avez faite venir ? A part pour m'insulter et me menacer ?

Son interlocutrice lui saisit le bras et l'obligea à se retourner vers l'arbre généalogique :
- Je voulais que vous m'expliquiez cela, répondit-elle d'une voix anxieuse en désignant l'armorie au corbeau. Mon mari n'a jamais fait Poudlard. Il est allé à Durmstrang et a passé sa jeunesse en Europe centrale où il a étudié les mœurs des sorcières locales entre sa sortie de Poudlard en 1946 et 1952, notamment celles des forêts. Il était passionné par l'enchanteresse de la Forêt Noire et le conte que vous avez mis en scène a été écrit quelques années après son retour en Angleterre et notre mariage.
- Vous relevez des coïncidences entre son parcours et le conte.

Nephtis la regarda droit dans les yeux et lorsqu'elle parla ce fut d'une voix impérieuse et presque menaçante :
- Je veux savoir quelle était la nature de sa relation avec votre grand-mère.

La jalousie et la rancœur étaient clairement perceptibles dans ces mots. Federica cependant ne se démonta pas et répliqua fermement :
- Aucune, il ne l'a jamais rencontrée.
- Ne vous moquez pas de moi Federica. Je n'hésiterai pas à vous arracher une réponse par la force si nécessaire !
- Il n'y a rien à arracher Mrs Malefoy. Il n'a pas pu rencontrer ma grand-mère, elle a disparu lors de la guerre contre Grindelwald.
- C'est impossible... Il la connaissait, il m'en a donné des preuves.
- C'est la vérité, et la chose est connue ! Faîtes-moi torturer par Bellatrix Lestrange si vous le souhaitez, je ne pourrai rien vous dire d'autre, à moins de mentir. Ma grand-mère a succombé à une bataille contre Grindelwald en 1942. Elle a attaqué Nurmengard pour délivrer des prisonniers du mage noir, avec toute une armée de sorcières, cela a viré au carnage et on n'en a revu aucune.
- Il y a forcément une erreur... Venez avec moi.

Nephtis extrêmement tendue entraîna Federica dans les étages du château, jusqu'à une chambre où elle n'était jamais entrée. D'un coup de baguette, elle fit tomber les draps qui recouvraient le mobilier et alluma les bougies des lustres.
Federica resta interdite devant le décors qui s'étalait sous ses yeux. La chambre était en fait un cabinet de curiosités venues des quatre coins de l'Europe, et certainement de quelques autres pays. Malgré la réputation de la famille Malefoy, aucun de ces objets ne semblait être un artefact de magie noire. Nephtis poussa un soupir nostalgique à la vue des merveilles étalées devant elle.
- Les souvenirs de ses voyages de jeunesse sont là-bas, répondit-elle et montrant le coin gauche de la pièce.

Federica s'approcha de la commode qu'elle désignait et contempla les objets posés dessus : corne de faune, balais artisanal appuyé sur le meuble, boussole, miniature d'arbre de mai, arbre à fées, pierres de guérison, coucou magique même... Une véritable fortune avait du être dépensée. Federica osa ouvrir le premier tiroir de la commode et resta bouche bée devant son contenu. Des potions conservées, un grimoire à couverture de bois, des plumes de corbeau, des statuettes de bois... incontestablement de la sorcellerie forestière et la marque de fabrique de sa famille était on ne peut plus claire : plume noire, corbeau gravé...
Ses yeux tombèrent alors sur une photographie magique placée un peu en retrait au fond du tiroir. Soudain fébrile, elle la saisit et comprit aussitôt pourquoi Nepthis Malefoy avait été induite en erreur :
Sur le cliché Anna Klein, la sœur de sa mère postée devant la chaumière familiale en compagnie d'une plus jeune fille saluait l'objectif d'un air rieur. La ressemblance entre la tante et la grand-mère de Federica avait toujours été troublante, et ce cliché ancien rendait l'illusion parfaite. L'esclave sentit son cœur se serrer alors que des souvenirs douloureux et des récits chargés de tristesse remontaient.
- Alors ? l'interrogea Nepthis, victorieuse.
- C'est ma tante Anna, répondit Federica qui sentait la tension alourdir ses épaules. Et non ma grand-mère. Cette photo date d'après 1950 car elle porte sa médaille de succès, regardez.
- Oh. C'est vrai que votre grand-mère ne l'a pas eue puisque...
- Elle a provoqué un cataclysme au sein de l'épreuve en 1923, oui.
- Donc il s'agit de votre tante... fraîchement diplômée... Et la jeune ?

Federica essaya de répondre sans que la peine qu'elle éprouvait à présent ne se remarque :
- Ma tante passé l'épreuve du grimoire à 18 ans, en 1950 tout pile. L'adolescente à côté d'elle est ma mère, ce qui sera facilement vérifiable si vous contactez le ministère. Elle a déposé plusieurs photos d'identité en arrivant en Angleterre pour ses études à Poudlard, une chaque année. Sur ce cliché je dirais qu'elle avait quinze ans, sachant qu'elle m'a eue à vingt. Ce doit être à l'été 1952... Le dernier où elle soit revenue en Forêt Noire.

A présent sa voix tremblait d'une colère mal contenue. Elle ajouta sur un ton plus froid qu'elle ne l'aurait du :
- Vous voyez très bien que cette photo montre deux jeunes filles et non une mère et son enfant ! Et puis, pour avoir une photographie de ma grand-mère à cet âge, il aurait fallu remonter aux années 30 !
- Modérez vos propos Federica, vous ne parlez pas à n'importe qui !
- Je parlerai comme il me plaira de parler si vous-même manquez de respect à un membre de ma famille, Mrs Malefoy.
- Comment osez-vous ?

Nephtis brandit une seconde fois sa baguette en direction du visage de Federica. Celle-ci ne se démonta pas :
- La question n'est pas comment, répliqua-t-elle d'une voix ferme. Mais pourquoi.

Le doloris qu'elle s'attendait à recevoir ne vint pas. Au lieu de cela, Nepthis Malefoy capitula, préférant la questionner directement :
- Cette photo réveille en vous des sentiments dont je ne comprends pas l'origine. Vous dîtes que votre mère n'est plus retournée en Forêt Noire après l'été 1952 ? Pourquoi si elle en était originaire ?
- Anna Klein, ma tante, a été tuée durant l'automne par des partisans de Celui dont on ne doit pas prononcer le nom. Ma mère était à Poudlard pour sa cinquième année et s'est retrouvée complètement orpheline. Ce sont les Gobeplanche qui l'ont recueillie. En tout cas elle n'est jamais retournée sur le continent, c'était trop dur pour elle. D'autant plus qu'en temps que sorcière d'Europe centrale, il était de tradition qu'elle s'instruise et passe l'épreuve du grimoire.
- On s'est en effet toujours demandé ce qu'une allemande faisait à Poudlard.
- Quand ma grand-mère a disparu, ma tante âgée de dix ans a du élever ma mère qui n'en avait que cinq et c'est parce qu'elle craignait de ne pas être à la hauteur de la tâche qu'elle l'a inscrite à Poudlard. Elle ne voulait pas que ma mère souffre de l'absence d'adulte pour l'épauler.
- Une enfant de dix ans a élevé sa sœur ? Et l'a envoyée à Poudlard alors la scolarité est extrêmement chère pour un sorcier étranger ?

Nephtis Malefoy était à présent franchement incrédule, Federica lui expliqua :
- Albus Dumbledore connaissait ma grand-mère car elle combattait Grindelwald à ses côtés. Il a toujours veillé sur ses deux filles et c'est lui qui a convaincu ma tante d'envoyer ma mère à Poudlard. Il aurait même voulu que ma tante y étudie mais elle ne voulait pas abandonner sa sœur à un orphelinat.

La vieille femme hocha la tête d'un air songeur, puis répondit sur un ton grave :
- Pensez-vous que votre mère et votre tante aient pu rencontrer Abraxas Malefoy ?
- C'est probable, répondit Federica. Je n'étais pas née lorsque ma tante est morte je vous rappelle. Je sais ce que je sais par les récits de ma mère. Mais votre mari possédait une photo d'elles deux, chose rarissime.

Nephtis Malefoy acquiesça :
- Retournons à la salle des armoiries, notre arbre généalogique a quelques... spécificités qui pourront peut-être nous éclairer sur tout cela.

Severus et la rose blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant