Trouble

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Elle tente de se dire depuis des jours que tout cela n'est que le fruit d'un pur délire, et pourtant c'est plus fort qu'elle. Le châtelain s'est rapproché, elle s'incline prudemment, les yeux fixés sur son travail mais les tempes battantes. Elle ne doit surtout pas céder à la panique.
Federica sait que c'est impossible, qu'elle ne sortira pas vivante d'une telle aventure, elle est là pour le servir, un simple produit de consommation. Et puis, ce n'est pas le premier homme de ce milieu qui l'aurait en ligne de mire, les gardiens d'Azkaban aussi n'ont pas hésité à en prendre leur part. Elle se souvient de chaque détail de leur brutalité, des coups qu'elle a eu à encaisser, des railleries, de la peur, de la douleur et de la honte.
Ignacius Malefoy a t-il seulement conscience à quel point elle n'est plus qu'une loque? Compte t-il vraiment l'achever? Un homme comme lui ne peut-il se permettre mieux?
Une larme coule sur la joue de Federica lorsqu'il passe une main dans son dos, c'est l'image de son mari et de son fils, disparus sans qu'elle ne sache où. L'intrépide touriste qui sillonnait l'Europe, le moldu dont elle était tombée amoureuse si jeune... Et pourtant jusqu'à aujourd'hui. Le jeune homme si sérieux et si fougueux à la fois, le champion sportif, l'élève modèle.
Voilà son crime en fait, avoir épousé un moldu et donné naissance à un cracmol, non...
Elle ne peut se résoudre à appeler son fils ainsi, comme s'il était un raté... Il est l'être le plus réussi qui puisse exister sur terre. Et elle a toujours refusé de se plier à cette honte qu'on cherchait à lui imposer, allant jusqu'à déclarer qu'elle préférerait être elle-même une moldue que penser comme tous ces extrémistes.
Ignacius Malefoy est toujours là, elle essaie d'ignorer sa présence et la main sur son épaule pour continuer son travail, mais son cœur bat de plus en plus fort tandis qu'elle se concentre sur les tissus à repriser. Soudain elle se pique et sursaute.
Des mains, les mêmes que la veille, douces et chaudes, saisissent les siennes et lui ôtent l'aiguille et le tissus qu'elle tient pour les poser sur la table. Elle n'ose pourtant le regarder.
-Il se fait tard Federica, murmure Ignacius Malefoy. Il est temps pour vous d'arrêter.
-Maître, je n'ai pas fini...
-Vous finirez à un autre moment.

Elle se lève et s'incline avant de tourner les talons, mais il la retient d'une main. Elle se fige.
-Pourriez-vous m'adresser un regard je vous prie?

Tremblante, elle se retourne lentement et lève les yeux vers le châtelain, un regard marc de café contre des yeux bleus glacés.
-Vous avez travaillé au centre de culture magique, à Londres si je ne m'abuse?

Elle hoche la tête, n'osant répondre, mais son visage s'empourpre encore davantage. Quelle idée incongrue de lui poser une telle question... Mais qu'est-ce que cela peut donc lui faire? C'était juste à sa sortie de Poudlard...
Et puis soudain elle se souvient...
Une conversation qui lui semble si lointaine, cet homme à peine plus âgé qu'elle à l'époque, cette question sur un point de culture dont elle était spécialiste, la discussion passionnée qui s'en était suivie et achevée autour d'un verre de whisky pur feu au Chaudron Baveur.
-Oui, articule t-elle avec peine, la bouche sèche.
-Nous nous sommes rencontrés, il y a fort longtemps, vous en souvenez-vous? Nous avions discuté de la joaillerie des Gobelins.
-Il me semble m'en souvenir, en effet, s'entend t-elle répondre.
-Dans ce domaine, vous êtes la personne la plus calée que je n'ai jamais rencontrée. Accepteriez-vous de venir examiner de vieilles possessions de ma famille? Dans quelques jours à Gringott. Je cherche à les faire expertiser, mais par les temps qui courent, aucun spécialiste n'est fiable.
-Je ferai ce que vous me demanderez, maître, murmure Federica.

Elle s'incline et il la lâche enfin. Elle s'enfuit vers les combles, serrant son châle contre ses épaules transies. L'épuisement la gagne, et c'est brisée qu'elle se traîne dans le dortoir, retenant des larmes brûlantes.
Elle s'allonge sur son lit de camps et s'enroule dans les draps, elle sent alors brusquement le sanglot qui monte dans sa gorge et n'a que le temps de l'étouffer dans son matelas. Ce n'est pas la première fois qu'elle pleure ainsi, le plus silencieusement possible. Mais si cela devait recommencer... Non, elle préférerait la mort à une telle chose...

Les jours suivants, elle fait tout pour se tenir éloignée du maître des lieux, réalisant les tâches d'extérieur les plus pénibles, travaillant dans la cave. Elle se tient aussi loin que possible des repas, des tâches domestiques... Seulement le linge est son activité attitrée avec les plus grands et elle tremble lorsqu'elle arpente les couloirs et entre dans les chambres pour les débarrasser de ce qui est sale et rapporter le linge propre. Elle veille à rester accompagnée, espérant que le châtelain oubliera sa lubie. Plus que tout, elle craint de se retrouver seule avec la matriarche dont elle redoute la colère si elle venait à apprendre ce qui se passe.

La maîtresse de maison est la seule personne auprès de qui elle se sent à peu près en sécurité, persuadée que son mari n'osera pas l'approcher de trop près en sa présence. Seulement, elle n'arrive pas à cerner Gilda Malefoy. Si l'on en croyait la réputation sulfureuse de cette femme, c'était une vraie rebelle.
Federica n'a jamais rencontré de rebelle aussi silencieux et renfermé, pourtant elle en a côtoyé. Elle aussi semble épuisée et sa vie bien morne, d'autant qu'elle est surveillée de tous côtés, mise à l'écart de la famille Malefoy et obligée de garder ses distances avec ses propres enfants. Sa santé semble même dégradée par l'épuisement ou une carence, difficile à expliquer.
Pourtant, elle est enceinte du maître des lieux et au cœur de son entreprise. C'est pour elle qu'Ignacius Malefoy les a tous sortis d'Azkaban, elle le sait. S'il est prêt à faire tout ceci pour son épouse, comment expliquer la conduite qu'il a eu envers elle-même ?
Trois semaines environ après leur arrivée, un matin, Gilda Malefoy est soudain prise d'un malaise et doit s'allonger. On appelle un médicomage et Federica est chargée de rester près d'elle, assistée de Joy.
Mrs Malefoy, la matriarche, s'est enfermée depuis le début de la matinée dans les appartements de sa petite fille et Ignacius Malefoy a immédiatement transplanné à Londres. Federica surveille la maîtresse de maison qui, livide, peine à se remettre de son étourdissement. Sa respiration est pénible, son visage diaphane et elle a les yeux extrêmement cernés, comme quelqu'un d'anémié. Son état semble loin de s'améliorer. En amoureuse des pierres, elle sait très bien qu'un sort renforcé à la malachite est une des premières choses à faire pour stabiliser l'état d'une femme enceinte, seulement elle n'a ni baguette ni pierre. Et l'état de la jeune femme ne cesse de se dégrader.
Soudain, Ignacius Malefoy est dans la pièce, furieux.
- Tous leurs spécialistes sont occupés ! Rage t-il. Ils vont arriver, mais quand ?
- Maître, murmure t-elle alors en maîtrisant tant bien que mal ses tremblements. Il vous faut stabiliser l'état de Mrs Malefoy, autrement elle ne tiendra pas.
- Savez-vous comment faire ?
- Oui Monsieur, mais il me faudrait une malachite... Et c'est un sort.

Le châtelain se tourne vers la fillette qui attend avec eux :
- Joy, allez voir Mrs Malefoy qui doit se trouver dans les appartements de ma fille, et demandez-lui de ma part la pierre de malachite qui se trouve dans la lithothèque, j'espère juste qu'elle a été bien rechargée.

Joy s'incline et part en vitesse, le châtelain s'adresse à Federica :
- Vous, dîtes-moi comment faire.

Federica lui indique toute une série de sortilèges mineurs destinés à stabiliser le corps, mais lui précise qu'il fallait attendre la malachite. Enfin, Joy revient, accompagnée de Nephtis Malefoy qui tient elle-même la pierre dans sa main.
- Je ne sais pas faire... Dit-elle d'une voix chargée de sous-entendus.
- Je vais m'en occuper, mère, répond Ignacius. Federica, guidez-moi, ou plutôt occupez-vous de la pierre.

Federica obéit et effectue une série de passes avec la pierre tandis qu'Ignacius marmonne les incantations qu'elle lui a indiquées. Gilda Malefoy reprend rapidement des couleurs et sa respiration s'apaise. Bientôt, elle est en état de leur parler et se tourne vers Ignacius qui l'observe avec inquiétude.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Murmure t-elle.
- Vous avez fait un malaise Gilda, réplique sèchement Nephtis Malefoy. Et je commence à avoir des doutes sérieux quant-à votre santé. Mais enfin, on dit que les malaises son parfois indicateurs d'un futur bon occlumens.
- Dans l'immédiat, réplique Ignacius sur un ton sec. Je pense que des soins sont la priorité. D'ailleurs, j'entends le médicomage qui arrive. Venez avec moi Joy.

Il sort et Federica, livide, se retrouve seule face à la matriarche.

Severus et la rose blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant