Malgré l'absence de Beto, Adriana restait prise d'insomnie comme si aucune tranquillité n'était possible. Elle s'était alors assise sur le banc du piano pour y frôler les touches. Elle n'en avait pas joué depuis des années. Elle adorait cet instrument mais les études puis l'aigreur envers son père l'avaient empêché de continuer. Elle repoussa ses cheveux en arrière pour bloquer les mèches rebelles derrière ses oreilles. Puis, malgré l'heure tardive, elle se laissa aller à une mélodie qu'elle connaissait encore. Elle retrouva rapidement ses repères et se laissa submerger par ses émotions.
Du moins, jusqu'à ce que le plafonnier s'allume. Mirko venait de rentrer, emmitouflé dans sa veste, gelé mais surtout épuisé.« Salut. »
Il hocha seulement la tête tout en lui lançant un simple regard. L'achat de l'établissement avait été facile mais les travaux étaient complexes parce que tout le monde lui mettait des bâtons dans les roues pour l'empêcher de débuter. Même le maire le freinait dans ce développement et il se sentait bien seul. Son père était parti en Sicile et Léo n'était pas des meilleurs conseils lorsqu'il fallait agir en douceur, sans explosif. Il retira son bonnet puis se recoiffa, s'arrêtant plus longuement sur Adriana en la remarquant assise devant le piano. Cela faisait déjà plusieurs années que personne ne s'était assis ici.
« Qu'est-ce que tu fais ? » Il fronçait les sourcils et son regard un peu trop sombre inquiéta la jeune femme. Elle se redressa subitement. « Reste, t'avais l'air bien, là. »
« Tu n'avais pas l'air content que j'y sois. » Elle avait les mains croisées devant elle, soudainement timide.
« J'étais seulement surpris. » Il s'approcha tout en retirant sa veste pour poser ses vêtements d'extérieur sur le meuble à côté. Il passa son doigt sur le piano. « Ça fait des années que je n'ai pas vu quelqu'un s'asseoir devant. »
« Mon père m'a forcée à commencer quand j'avais quatre ans. Je détestais ça. Je détestais rester assise devant le piano à essayer de toucher toutes les touches avec mes petites mains. À chaque fêtes, il me demandait de jouer alors dès que je suis partie de la maison, j'ai arrêté. Mais, ça me manque maintenant. » Elle mordit l'intérieur de sa joue de toutes ses forces pour retenir ses larmes mais rien ne fut suffisant. « Mon père me manque. » Elle ria jaune tout en séchant ses larmes. « Désolée. Je vais aller me reposer. Bonne nuit Mirko. »
« Attends. » Il n'eut à faire un mouvement vers elle pour la retenir, ses mots furent suffisants. « Joue, un peu, tu veux bien ? »
Elle acquiesça seulement parce qu'il avait l'air un peu trop pris par ses émotions. Elle prit alors place devant le piano avant de rejouer la même mélodie. Malgré son attitude paresseuse et lasse, il était envahi par la musique mais surtout l'attitude d'Adriana. Elle jouait avec aisance et légèreté. Il repensa alors à cette fois où elle marchait dans le couloir et qu'il avait été envahi par un sentiment étrange, comme une certaine obnubilation. Il n'essaye pas de lutter contre, se laissant aller à l'observer. Ses longs cheveux bruns qui tombaient dans son dos. Ses taches de rousseur qui s'éparpillaient comme une constellation. Ses lèvres qu'elle mordait de concentration.
« Assieds-toi avec moi. »
« J'sais pas jouer. »
Il le fit quand même. Elle s'arrêta pour attraper la main de Mirko et d'écarter ses doigts sur trois touches. Elle posa les siens au dessus pour lui montrer le rythme et il se laissa faire. C'était une scène étrange pour lui parce qu'il n'avait jamais été à proximité d'une femme seulement pour faire quelque chose de si simple, si sincère. Il ne les connaissait que sous lui ou en train de claquer la porte alors qu'il les renvoyait. Elle compta jusqu'à trois et il commença, obéissant tout en grimaçant en entendant la mélodie qu'il produisait. Puis elle le suivit et tout pris sens. Du moins, jusqu'à ce que l'index du jeune homme loupe une touche et qu'elle arrête tout en riant.
« Te moque pas de moi. » Il la chahuta d'une épaule, un sourire pincé sur les lèvres. « Je n'ai jamais joué. »
« Pourtant, tu as une bonne dissociation. »
« Oui, c'est souvent ce qu'on me dit mais c'est pas lié à un entraînement de piano. » Elle resta bouche bée, ses joues prenant une teinte rouge cramoisie. « Je rigole, Adriana. Détends toi. » Le silence fut lourd, si bien qu'il décida à se dévoiler un peu. « C'est ma mère qui jouait du piano. Elle était super douée et je m'asseyais toujours à côté d'elle pour écouter. J'aurai aimé qu'elle m'apprenne mais on ne pouvait pas. Mon père m'aurait coupé les couilles. » Il se força à rire devant la gravité de ses propos. « Littéralement. »
« J'ai vu la photo d'elle et toi dans ta chambre. » Elle le vit s'enfoncer ses ongles dans sa nuque, heurté. C'était la seule photo de famille restante dans la maison et il la protégeait avec tout ce qu'il avait. « Elle est magnifique. »
« Elle l'était. »
« Désolée. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. »
« T'excuse pas. C'était une femme exceptionnelle que tout le monde aimait. »
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Elle se tourna vers lui, les pieds sur le banc et les genoux contre la poitrine. Elle donnait toute son attention à lui comme si elle oubliait qu'elle était captive, ici, parce que son frère avait tiré une balle dans la tête de son père. Tout ce qu'elle voyait, c'était un jeune homme qui avait une noirceur dans son cœur, provoquée par un drame. Un drame qu'elle subissait dorénavant. Mirko apprécia son attention et toute son empathie. Naturellement, il avait envie de lui dire, de lui expliquer toute la douleur et la souffrance qu'il avait eu en perdant sa mère. Toutefois, il devait se retenir de se dévoiler non seulement parce que l'intérêt qu'elle lui portait adoucissait trop son cœur mais surtout parce qu'il se devait de respecter ses promesses.
« Elle a eu un cancer du sein. Elle s'est battue comme une vraie guerrière mais ça n'a pas été suffisant. »
« Je suis désolée. »
« Le sois pas. » Il lui fit un demi sourire rassurant avant de se lever. « C'était il y a longtemps. »
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Cosmos
Romance« Je me battrai jusqu'à mon dernier souffle. » Elle se retira, se retenant de gémir alors que le fil arrachait sa peau. Le sang se mit à couler de nouveau, encore plus abondamment. « Alors, crois-moi, c'est moi qui ai l'avantage. » Cette fois, le ca...