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Adriana serra la poignée de son sac tout en regardant la maison devant elle. C'était une belle demeure, simple mais familiale, celle dont on apprécie le petit jardin un jour d'été. Malgré cet environnement accueillant, il lui semblait impossible de monter les trois marches menant à la porte d'entrée. Elle n'était pas certaine de pouvoir supporter un nouvel abandon si sa mère refusait de l'accueillir ou même de la voir. Néanmoins, elle n'eut le temps de faire demi-tour et de fuir qu'on lui ouvrait. C'était sa mère, et malgré les années, elle la reconnaissait sans difficulté tant elles se ressemblaient.

« Oh mon dieu. » Son aînée posa une main sur sa bouche béate. Elle pleurait déjà à gros sanglots, tout comme sa fille. « C'est bien toi. »

Adriana acquiesça, le menton tremblant et les yeux imprégnés de larmes. Aucune ne fit un mouvement, trop hébétées de voir l'autre et incapables de gérer leurs propres émotions pour accueillir celles de l'autre. Finalement, ce fut le mari qui passa la porte en entendant la vague de pleurs. Il s'approcha, souriant de la manière la plus réconfortante possible. Il attrapa le sac de ses mains puis tendit son bras vers l'entrée afin de la convier à avancer. Elle le fit, incapable de réfléchir pour prendre une autre décision.

« Elle m'a beaucoup parlé de toi. Elle est heureuse de te voir, sache-le, elle est seulement surprise. »

« Moi aussi. » Elle essuya ses joues avant de s'arrêter devant sa mère. « Maman. » Sa voix s'étouffa dans un tremolos puis dans les bras de son aînée.

« Tu m'as manqué, ma chérie. Tu m'as tellement manquée. »

Elle la guida à l'intérieur et Adriana ne put retenir son émerveillement. C'était tout ce qu'elle adorait, le bois naturel, les couleurs apaisantes mais surtout l'odeur qui lui rappelait sa mère. Elle eut l'impression de rentrer dans une bulle réconfortante, comme si le temps s'arrêtait mais surtout que le passé n'existait plus. Une petite fille entra dans la pièce, les doigts croisés, timide. Elle devait avoir tout juste trois ans et ressemblait comme deux gouttes d'eau à son père. Adriana se mît accroupi sans hésitation.

« Bonjour toi. » Elle lui fit son sourire le plus rassurant. « Comment tu t'appelles ? »

« Julia. »

« Quel beau prénom ! »

La petite fille se dérida garce à son compliment et son ton enjoué. « Toi, c'est Adriana ! Maman, elle m'a montré des photos de toi ! »

Elle n'eut le temps de répondre que sa mère l'interpellait pour la rejoindre dans la cuisine. Celle-ci lui avait préparé une tasse de café et avait sorti de quoi manger. Elle lui tendit le mug, hésitante, perturbée que celle qu'elle avait quitté des années plus tôt pouvait maintenant prendre des boissons d'adulte. Adriana la remercia seulement d'un hochement de tête, préférant garder sous silence ce moment étrange entre une mère et une fille devenues deux inconnues. Julia dissipa le malaise en arrivant pour demander un jus de fruit qui fut servi par son père avant que les deux ne s'éclipsent.

« C'est vraiment une belle maison. Ça a l'air d'être un quartier tranquille, c'est toujours appréciable. »

« J'ai longtemps hésité avant qu'on... qu'on décide à faire un bébé, tu sais. Je ne voulais pas que tu aies l'impression que je te remplace mais Julia est un vrai trésor et j'espère que tu vas l'apprécier. »

« Elle a l'air vraiment adorable. »

« Adriana... » Elle quitta le fond de sa tasse pour les yeux de sa mère. Elle avait de nouveaux les yeux larmoyants. « C'est ton père qui t'a... » Elle ne termina pas sa phrase mais montra sa pommette encore bleutée.

« Non ! Non, pas du tout ! » Elle s'était écriée comme si les souvenirs des disputes de ses parents passaient en boucle dans sa tête et qu'elle souhaitait les faire taire. De plus, elle pouvait entendre Mirko lui dire qu'il n'était pas complètement innocent, et ça, c'était bien trop frustrant. « Papa est... papa a été tué. J'étais présente. » L'aînée ne put retenir un mine épouvantée. « Je vais bien. Il ne faisait pas des choses toujours très légales et il a fini par payer le prix fort. »

« Je... je sais. C'est une des raisons qui m'a fait partir. » Elle se pinça les lèvres tout en baissant les yeux, un sentiment de culpabilité se creusant dans son estomac. « J'aurai dû insister et te prendre avec moi. Je suis désolée. »

« Et moi, je suis désolée de ne pas t'avoir suivie. Je regrette. Je regrette tellement de choses, maman, si tu savais. » Elle se leva pour contourner l'îlot et la rejoindre. « Je regrette ne pas avoir répondu à toutes tes cartes mais je les ai toutes lues, toutes gardées. »

« Est-ce que... est-ce que tu vas rester ? Au moins quelques jours ? On pourrait profiter un peu pour... discuter. Et puis, ici, il y a une chambre pour toi et la ville est... super à visiter. Et... et... je crois que mon mari et Julia aimerait beaucoup te connaître. Je leur ai beaucoup parlé de toi. » Elle posa sa main dans le bas du dos d'Adriana pour l'inviter à la suivre. « Viens voir. »

Elles montèrent au premier étage et elle lui ouvrit une porte en l'invitant à entrer. C'était une chambre simple accordée au domicile, comme une que l'on propose à des amis de passage. Toutefois, lorsqu'elle avança, elle ne put louper les draps teintées de ses couleurs préférées. Il y avait plusieurs cadres photos sur les murs, c'était elle ainsi que les membres de la maison, au fur et à mesure des âges. Elle reconnaissait les clichés pour les avoir publiés sur ses réseaux sociaux au cours des années.

« Je les ai imprimées, les photos, et j'ai vu que tu aimais ces couleurs là. » Elle croisa ses doigts devant elle comme Julia l'avait fait quelques minutes plus tôt. Adriana ne cacha pas son sourire. « C'était juste... j'espérais que tu reviennes un jour alors j'ai gardé une chambre pour toi. Personne n'y a jamais dormi, elle n'attendait que toi. Alors reste, s'il te plaît, j'y tiens, reste. On fera en sorte que tu sois bien ici, d'accord ? »

« D'accord, je reste mais je reste parce que j'en ai envie et pour aucune autre raison. »

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