Le Journal des Quatre Indécis

Lou-18/09

Jeudi 18 septembre

Lou

Humeur du jour : lassée.

Les jeudis, c’est la fête. J’ai deux heures de français d’affilée le matin, puis une de maths et une de physique, après je mange et j’enchaine sur deux heures d’histoire et de nouveau une de maths, la belle vie quoi. En plus de ça, je me suis une énième fois engueulée avec Roxane,

Arthur est rentré et n’a pas bien digéré le fait que je me défoule sur sa « petite-amie » – enfin, c’est vrai quoi, elle était hyper moche et en plus, je suis sûre qu’il l’avait oubliée. En fait, j’ai réalisé après que c’était son pigeon : il s’en servait pour faire ses devoirs.

Maman est rentrée hier de son deuxième contrôle : tout va bien et c’est une fille. Chouette ! Une troisième petite sœur - oui Roxane, avec ton attitude complétement immature, je te compte dedans.

Bon, changement radical de sujet : je passe à ma journée d’hier et à ma vie de lycéenne. Comme vous le savez tous, ma chère déléguée Sophie s’est mis dans la tête que toutes les deux ou trois semaines, notre classe devait faire un truc ensemble. La dernière fois, c’était ciné et la moitié de nos gentils camarades n’étaient pas venus. Je le lui ai fait remarquer mais je pense qu’elle s’en fout. Ce coup-ci, elle a organisé une sortie bowling. Génial. J’adore le bowling… - pour Aliénor qui ne lit pas souvent mon journal, mais quand même, je spécifie que ceci était de l’ironie (oui je te vois déjà en train de penser : « C’est bizarre, d’habitude, elle veut pas venir avec nous quand on y va et puis elle est super nulle au bowling. »).

Comment vous résumer ce chouette après-midi ? Déjà, tout le monde était là (pour cause : le bowling, c’est branché) ensuite, chacun s’est mis en petits groupes dans son coin : les bizarres populaires dans l’un, les bizarres bizarres dans un autre. Au milieu de tout ça, il y avait moi : la fille qui veut pas jouer mais qui vient quand même parce que le prof principal a promis d’arracher les oreilles à ceux qui ne seraient pas présents. Je suis restée un peu au bar pour boire un truc et puis après, je me suis trouvée une table tranquille, loin des pistes de bowling, pour réviser le contrôle de maths du lendemain.

J’étais à peine à vingt minutes de révisions qu’une bande de mecs est venue s’installer à trois tables de moi puis s’est mise à jouer au baby-foot – il y a toujours un baby-foot dans les bowlings. Je les ai reconnus au bout d’un moment : c’était des premières de mon lycée. Je sais que ça peut paraitre bizarre et que de tout façon ils ne l’auraient jamais fait, mais dès que je croise des gens que je connais, je me fais toute petite pour éviter qu’ils ne me reconnaissent. J’ai horreur de ces discussions gênées style :
« Alors, ça va ?
- Oui, oui, et toi ?
- Ben pas mal. Il fait beau, il fait chaud et on a pas cours ! Rien ne pourrait être mieux.
- Ouais, c’est vrai. »

Après, t’as toujours le droit à un silence gêné et puis y en a un qui se dévoue pour sortir une excuse bidon et on se sépare. J’ai horreur de ça, je suis incapable de parler pour rien dire ! En fait, ça me fait presque peur. Ce doit être mon côté asocial qui ressort. Bref, je me suis cachée derrière mon cahier et puis des filles de ma classe – du groupe des bizarres populaires – les ont rejoints et là, j’ai cru que j’allais tous les tuer. Surtout celles qui faisaient exprès de pas y arriver et ceux qui gueulaient dès qu’ils perdaient. Le barman leur lançait des regards excédés mais ils en avaient strictement rien à foutre.

Moi, j’ai mis mes écouteurs mais la musique ne couvrait pas leurs beuglements et puis ça emplissait le bruit de fond et ça m’empêchait encore plus de réviser.

J’ai finalement remballé mes affaires – en faisant tomber ma trousse évidemment – et me suis levée. J’avoue que ce genre d’irrespect me met hors de moi et j’avais envie de leur filer à chacun une bonne paire de claques. J’ai slalomé entre la ribambelle de chaises qui m’obstruaient le passage – j’avais forcément choisi la table de tout derrière – et en ai fait tomber une.

Certains joueurs de baby-foot ont levé le nez vers moi et j’ai reconnu Tristan. Alors, en plus d’être un créateur de problèmes, c’était aussi un emmerdeur de première…
Vraiment Roxane : on se dispute pour un type comme lui ?

Après, j’ai vu Sophie. Donc elle nous forçait à aller au bowling pour pouvoir draguer ? Bien, j’adore ce genre de mentalité. Quand je suis passée devant le baby-foot, j’ai surpris le regard coupable de Tristan qui ne me parle plus depuis l’incident volley et j’ai entendu Sophie qui m’appelait.
« Tu t’en vas déjà ? m’a-t-elle demandé avec un ton étonné et déçu qui sonnait complétement faux.
- Et oui, je m’en vais déjà. Ce n’est pas comme si votre compagnie était agréable, ai-je ajouté en jetant un regard à la bande. »

J’ai continué mon chemin, me prenant une énième chaise et en entendant les pauvres débiles de ma classe glousser et faire des remarques sur moi. Je regrette tellement de ne pas être dans la classe de Roxane.

Tout ce serait mieux passé : on aurait affronté la nouveauté du lycée ensemble, elle se serait rendue compte en même temps que moi que Tristan vivait à Bordeaux et on remettrait ces pauvres pimbêches à leur place. J’ai toujours eu l’habitude d’être deux. Dans ma chambre, à l’école, dans le ventre de maman… On n’était jamais séparée. C’est dur d’être seule maintenant.

Je crois que le déménagement nous réussit pas plus qu’à Arthur. Si lui l’extériorise plus clairement, nous on le fait en s’engueulant. On n’arrive pas à se faire à l’absence de l’autre. On a beau partager le même étage à la maison, aller dans le même lycée, c’est pas assez. Je crois qu’on essaie toutes les deux d’attirer l’attention de l’autre en l’énervant, pour lui rappeler qu’on existe, pour qu’elle ne nous oublie pas.

Bref, je me remets encore une fois un trophée pour le plus bel excès de sentimentalisme de la famille.