Dimanche 12 octobre
Lou
Humeur du jour : bouleversée. Mais ça reste un grand mot.
Je crois que ma vie sociale au lycée est fichue, terminée ! En fait, j’hésite à retourner un jour dans ce lieu de malheur !!! Dans ma classe de malheur !!!
Je n’en ai parlé à personne et je crois qu’à part Roxane, personne ne s’est rendu compte que j’allais mal. Papa a beaucoup de travail et il rentre souvent tard, maman est obnubilée par sa grossesse – ce qui, soit dit en passant, peut se justifier – et n’a de toute façon jamais été très douée pour me comprendre, Arthur s’en fout et Aliénor aussi – elle a des problèmes de couple. Un conseil Aliénor : reste célibataire et ce genre de problème ne te cassera pas la tête !
Bref, là n’est pas le sujet. Non, le sujet, c’est moi- bonjour l’égoïsme – et la sortie de vendredi. Avant que vous vous posiez la question, c’était une sortie à Hostens. Pour faire court, c’est une espèce d’ancienne mine reconvertie en forêt. On y est allé avec ma classe, une de premières, le prof de maths et la prof de SVT. Le trajet durait une heure et demie.
Je me suis pointée à 9 heures devant le lycée où j’ai rejoint Aria et Cassandre. Elles se battaient pour savoir qui serait du côté de l’allée dans le car quand je suis arrivée à leur hauteur et j’ai vite regretté d’avoir fait remarquer que moi, ça ne me dérangeait pas. Du coup, pendant le quart d’heure d’attente qui a suivi – tout le monde était là sauf la prof de SVT – elles se sont battues pour savoir qui serait à côté de moi. Lorsque la prof, Mme Bénard, est arrivée, j’avais explosé mon seuil de tolérance aux abruties bien maquillées et épuisé ma réserve de patience. Il était hors de question que je passe une heure et demie à côté d’une de ces imbéciles.
Mme Bénard a fait l’appel et je me suis rendu compte que Tristan avait répondu présent ! Je me suis mise sur la pointe des pieds pour scruter la foule : en effet, il était bien là. Avec un petit sourire suffisant. Qui sonnait très faux.
Le prof de maths nous a demandé de monter dans le car à peu près au moment où je me demandais comment j’allais me débrouiller pour faire ravaler son petit sourire à Tristan. C’est aussi à cet instant qu’Aria s’est tournée vers moi pour savoir ce que je pensais de leur débat débile et à côté de qui je préférais être assise. Je n’ai pas pris la peine de répondre, j’ai foncé tête baissée dans la foule de premières qui me barrait le chemin vers l’entrée du car. Je me suis prise un type dans l’épaule au passage et quand j’ai relevé la tête pour m’excuser, je me suis rendue compte que c’était « Monsieur je matte » en personne. Je crois bien avoir rougi et ai continué ma route, piteusement. Je suis montée dans le car avec la ferme intention de m’assoir à côté de Tristan. Lui et moi, on avait à parler. Evidemment, il était déjà installé avec un de ces potes. Je ne me suis pas posée de question et ai avancé à leur hauteur.
« Tristan, il faudrait qu’on parle, lui ai-je fait.
Il m’a regardé genre « Là ? Tout de suite maintenant ? » et j’ai répondu par un regard style « Oui, pauvre idiot, là, toute de suite maintenant. ». Il n’a pas discuté – ce qui m’a un peu étonnée – et a fait signe à son pote de se lever avec un « Désolé mec, au retour peut-être. ». Je me suis assise à côté de lui et ai attendu qu’on démarre pour amorcer la conversation.
- Bon, j’imagine que tu sais de quoi je veux te parler.
Je me suis giflée mentalement : je voulais être concise et ne pas jouer au proviseur qui convoque un élève turbulent.
- Oui, a-t-il juste fait.
- Parfait, ça rendra les choses plus faciles, ai-je jeté. Bon, tout d’abord, sache que tu es un crétin désespérant qui ne mérite pas Roxane. Ensuite, pour ta gouverne, la fugue, c’est une technique de lâche et enfin, je n’apprécie pas que tu traites Roxane comme tu le fais !
- Ça me parait plutôt clair.
- Bien. Maintenant, j’aimerais que tu arrêtes de lui tourner autour comme tu le fais : soit tu la lâches, soit tu lui parles et tu lui demandes de sortir avec toi.
- Mmmm.
- Avant de prendre ta décision, sache qu’elle est déjà en couple.
- Hein ?! s’est-il exclamé en me regardant, les yeux ronds.
- Oui. Avec Noah.
- C’est qui ça ? m’a-t-il demandé, l’air passablement énervé.
- Un type louche. Vraiment bizarre. Et je préfère qu’elle soit avec un crétin plutôt qu’un taré.
- Quand tu dis crétin, c’est de moi dont tu parles ?
- Oui. Contente qu’on se comprenne.
- Moi un peu moins.
- Bref. Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je sais pas. Si elle est en couple, je vois pas pourquoi je lui demanderai de…
- Oh ! non mais tu t’entends ?! l’ai-je coupé, T’es sorti avec elle pendant les vacances, t’es allé en boite, tu t’es bourré la gueule avec elle et tu la dragues ouvertement à l’hôpital pour abandonner parce qu’elle sort avec un autre ?!
- Parle moins fort s’il-te-plait… Et puis c’est pas tes affaires.
- Oh ça va ! ai-je dit en baissant quand même la voix, Tu as honte de craquer pour ma sœur ?
- Non !
- Bon alors ?
- Alors quoi ?
- Mais t’es débile ou quoi ?! Qu’est-ce que tu vas faire pour Roxane ?
- Rien.
- Ok…, ai-je répondu en me pinçant l’arête du nez pour contenir ma colère, Es-tu réellement en train de me dire que je m’égosille depuis tout à l’heure pour… rien ?
- Ecoute, Lou, t’es sympa et tout, et je comprends que tu veuilles défendre ta sœur mais…
- Y a pas de mais ! Tu vas te bouger, Tristan. Tu vas prendre ton courage à deux mains et aller lui parler, lui expliquer la moindre des conneries que t’as faite et qui l’ont blessée. Elle mérite au moins ça ! Et surtout, tu lui dit ce que tu ressens. »Il m’a regardée, les yeux ronds. C’est vrai que dit comme ça, ça fait très série à l’eau de rose mixée avec un film d’action hyper violent. Ouais, c’est tout à fait ça : un super vilain plein de sang qui explique à un ado transi d’amour comment conquérir la fille de son cœur. J’ai poussé un soupir : je crois que tout était dit. Il s’est tourné vers la fenêtre et on a plus parlé.
On roulait depuis environ une heure maintenant et des filles au fond du car s’étaient mises dans la tête de chanter bien fort toutes les chansons Disney qu’elles connaissaient. Mes oreilles saignaient depuis près d’un quart d’heure : c’était un vrai supplice de les entendre. Tristan jouait le muet, tourné vers la fenêtre. Je m’ennuyais ferme. Jusqu’à ce que Sophie, qui ne faisait pas partie des chanteuses – fait très étonnant – se rappelle à mon bon souvenir. Elle s’est mise à genoux sur son siège, s’est tournée vers son voisin de derrière et ce faisant, elle m’avait aussi dans son champ de vision. Elle s’est mis à rire bien fort pour attirer l’attention et puis à limite gueulé :
« Eh ! Tu savais que Lou était lesbienne ?
- Lou ? Lou de notre classe ? s’est étonné le voisin.
- Ouais, Lou Aurion elle-même ! Elle me l’a dit mercredi ! Et il me semble bien qu’elle est à la recherche d’une petite copine !
Tristan s’est tourné vers moi alors que je me tassais dans mon siège. Il avait l’air hyper étonné.
- C’est vrai ?
- Bien sûr que non ! me suis-je récriée, Attends, tu ne la crois quand même pas ?! Eh oh ! C’est Sophie qui parle là ! »Notre conversation s’est de nouveau arrêtée mais je sentais qu’il était septique. Et que la plupart du bus avait pris Sophie la Gourde au sérieux.
On est enfin arrivé à Hostens. On nous a séparés en groupe selon le nombre d’intervenant et j’ai hérité du groupe sans prof accompagnant.Liberté ! J’aillais pouvoir faire semblant d’écouter pendant toute la sortie. Le mec qui nous faisait la visite nous a emmené au milieu de la forêt et nous a filé des appareils pour mesurer l’intensité de la lumière puis, il est parti s’assoir sous un arbre en nous plantant là. J’avais tranquillement l’air stupide avec ma machine pointée vers le haut lorsqu’une première est venue me parler. Je ne la connaissais que de vue et me suis demandée pourquoi elle venait me taper la discute. Elle s’est présentée : elle s’appelait Léa et était en première S, avait une petite sœur, quelle galère ! et un chat. Quand je lui ai dit, après maintes questions de sa part, que j’étais l’ainée d’une fratrie de cinq – je comptais déjà le bébé – elle a eu l’air impressionné. Elle ne m’a pas lâché du reste de la sortie ; alors que le type de la visite nous trimbalait de bout de forêt à bout de forêt, elle restait là, à me parler. J’avais du mal à me retenir de l’envoyer bouler. On était dans une petite clairière lorsqu’elle m’a dit :
« J’aime bien tes cheveux. Ils sont tellement beaux avec tous ces reflets !
- Pardon ?! ai-je fait en m’étranglant avec ma salive, plutôt… euh… surprise… du compliment.
- Sérieux, tu es hyper mignonne ! Et tellement intelligente !
- Non mais attends, ai-je fait en toussant, Tu serais pas en train de me draguer là ?!
- Ben si, a-t-elle répondu l’air de rien, Ça te dérange ?
- Mais oui, ça me dérange ! Je suis pas lesbienne, moi !
- Ah bon ? Pourtant ta pote m’a dit…
- Sophie n’est pas ma pote. Et elle a l’habitude de raconter n’importe quoi.
- Donc tu n’es pas lesbienne…
- Non.
- Mince.
- Tu l’as dit.
- Je suis désolée…
- C’est pas ta faute. Cette fille est un vrai boulet.
- Ah ! Je suis trop gênée ! Vraiment, si j’avais su…
- T’inquiète ! Je t’en veux pas ! C’est pas ta faute, ai-je encore une fois répété. »Elle a esquissé un sourire penaud et s’est éloignée. Enfin débarrassée. Le reste de la sortie a été, du coup, très calme. Même si je sentais des regards en coin de certaines personnes et des chuchotements. Il va vraiment falloir m’expliquer en quoi être lesbienne est un spectacle. Et pourquoi Sophie a lancé cette rumeur.
Tout le long du retour, ça a tourné dans ma tête. Qu’est-ce que j’avais bien pu faire à Sophie pour la pousser à dire ça ? Ce n’était quand même pas juste parce que je n’avais pas été très agréable avec elle la dernière fois ? Bon, c’est vrai que je n’y étais pas allée mollo mais… Mais je ne voyais que ça. Purée ! Elle est dingue ! A cause d’elle, j’allais être fichée au lycée. Je le sais bien, j’ai vu ça arriver une tonne de fois. Et pas nécessairement pour la même raison que moi. Quand on me verra, les gens diront : « Ah ! C’est Aurion, vous savez, celle qui est gay ! ». Je ne pourrais plus jamais draguer un mec sans qu’on me regarde bizarrement. Bon, relativisons : il faudrait déjà que je me mette à draguer.
Bref, je décerne une fois de plus un trophée à Sophie. Tout le monde aura compris pourquoi.
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Le Journal des Quatre Indécis
Teen Fiction4 ados. 4 journaux. 1 existence commune. Chacun son point de vue sur leur petite vie tranquille : école, collège, lycée, disputes, rabibochages... Tout un train-train bien réglé soudain bouleversé par une arrivée inattendue qui fait l'effet d'une...