Mardi 28 octobre
Lou
Humeur du jour : désemparée.
J'étais tranquillement en train de galérer sur mes devoirs lorsque j'ai reçu un sms de Quentin : « On se retrouve en ville cet aprèm ? ». J'ai répondu « OK, où ? » et j'ai foncé vers ma penderie. Evidemment, comme je n'ai contracté le virus des fringues que très tardivement – ça fait une semaine presque, pour être précise –, je n'ai pas grand-chose dans mon placard. J'ai donc fait opération « aller trouver un truc à mettre chez Roxane ». C'est très périlleux comme mission. Je suis donc sortie sur la pointe des pieds de ma chambre pour traverser le palier qui sépare sa porte de la mienne. Je l'ai ouverte avec précaution et me suis faufilée dans sa chambre.
A peine étais-je venue à bout de l'épreuve « faufilage en toute discrétion» que je me suis rendu compte que Roxane était là, dans sa chambre, me regardant les yeux ronds. Il faut dire que j'avais galéré à m'immiscer dans la pièce : sa foutue porte grince dès qu'on l'ouvre de plus de vingt centimètres et vingt centimètres, c'est assez restreint comme espace.... Bref, Roxane me fixait avec des yeux ronds comme des soucoupes, les fesses posées à même le sol, une cuillère pleine de Nutella dans une main et le pot dans l'autre. Quelqu'un a dit : « Parfois, la meilleure défense, c'est l'attaque ». Vu que je me sentais très ridicule et que ma jumelle n'allait pas tarder à me complimenter sur mes exploits de ninja, j'ai attaqué :
« Je savais bien qu'on avait un pot de Nutella encore plein ! Je le cherche depuis deux jours !
Ce n'est absolument pas vrai mais bon...
- Oui..., a rétorqué Roxane avec éclat et toute penaude.
Une chose à savoir sur ma sœur : si jamais elle décide d'avoir un tête à tête avec le Nutella, toute seule dans sa chambre, c'est que quelque chose ne va pas bien. Toute honte oubliée, je suis passée en mode « jumelle à l'écoute ». J'ai quand même plus de conversation qu'un pot de Nutella.
***
Deux heures plus tard, un devoir maison de maths pas terminé, un pot de Nutella sauvé, une sœur rassurée et une tenue trouvée, je suis partie. En arrivant en centre-ville, je me suis rendu compte qu'avec Quentin, on avait pas prévu de lieu de rendez-vous... Déjà qu'au niveau des horaires, il avait pas été très précis...
Je l'ai appelé. Il était arrivé « il y a un bail » et il m'attendait à la Brioche dorée. Evidemment, je ne savais pas où c'était, la Brioche dorée. Disons que je ne le lui ai pas demandé par fierté....Il s'est mis à pleuvoir – génial – et j'ai fini par demander à une passante qui ne m'a pas indiqué la bonne direction. Du coup, j'ai rappelé Quentin et il s'est foutu de moi. Bref, il m'a expliqué comment y aller et je me suis retrouvée à bon port.
Je suis montée à l'étage du resto – si on peut appeler ça comme ça – et j'y ai trouvé un Quentin encore hilare, tranquillement assis à une table, en face d'un chocolat chaud. Je me suis affalée à côté de lui, sur la banquette et ai attrapé le chocolat en marmonnant :
« Oui, bon ça va, ... hein !
Il a ri encore plus fort en me poussant parce que je lui dégoulinais dessus – enfin pas moi mais mon manteau que j'enlevais.
- Dis-moi, a-t-il réussi à articuler entre deux éclats de rire, Ça t'arrive souvent de te perdre alors que t'as juste une rue à descendre ?
Ce n'est pas pour me chercher des excuses mais la pluie, ajoutée mon déambulement dans les rues trempées de Bordeaux, ça m'avait foutu les nerfs... Je vous assure, je suis une fille très ouverte à l'humour d'habitude mais, là, non, je n'ai pas cautionné :
- Non, ça ne m'arrive pas souvent mais si tu as l'intention de te foutre de ma gueule tout l'après-midi, je préfère me casser tout de suite !
Je me suis levée et suis partie avec le chocolat chaud. J'étais à peine arriver dans la rue qu'il m'avait rattrapée.
- Eh ! qu'est-ce qu'il te prend ?!
-Il me prend que j'en ai ras-le-bol de cette ville de merde, de ce temps de merde, des cours, de mes parents, de... de tout !!!!!! »
Ah mon dieu... la crise de nerf, là, maintenant, en public, que je me suis tapée... Ça n'arrive qu'à moi ce genre de situation ! Même Roxane qui est la spécialiste des crises, elle aurait réussi à se maitriser !
Bref, je me suis barrée en courant parce que Quentin est adorable et que je n'avais pas envie de l'humilier lui non plus. J'ai poireauté à l'arrêt de bus mais une demie heure plus tard, j'étais chez moi. Roxane avait redescendu le pot de Nutella et je suis allée le chercher dans son placard de la cuisine. Je me suis ensuite armée d'une cuillère et ai foncé dans ma chambre. Là, toute seule, assise à même le sol, je me suis enfilée un quart du pot. Après, Roxane qui m'avait entendue monter est venue me rejoindre et on a partagé ce qui restait de Nutella en se passant la cuillère à tour de rôle. Bon, ça faisait un peu secte mais je ne le fais plus remarquer parce que la dernière fois, elle m'a recraché tout ce qu'elle avait dans la bouche à cause d'un éclat de rire... Cela restera un épisode traumatisant de ma vie.
Enfin bref, quand il y a plus eu de Nutella, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps et ça a désemparée maman qui était venue voir, alertée par le bruit de mes sanglots. Je ne suis pas celle qui pleure d'habitude mais à intervalle régulier, je craque et je déverse tout ce que j'ai pris sur moi trop longtemps. C'est juste pour dire que maman panique toujours dans ce genre de situation. Roxane gère plutôt bien et c'est donc elle qui a pris les choses en main.
Une heure plus tard, je me sentais quatre fois mieux et j'étais prête à passer à autre chose, à oublier Quentin, mon humiliation et tout, et tout lorsqu'Arthur a gueulé du rez-de-chaussée :
« Lou, si tu viens pas décrocher ton téléphone, je te jure que je le balance contre un mur !!! Ça fait vingt fois qu'il sonne !!! J'en peux plus, je déteste ta sonnerie !!!! »
On s'est regardé avec Roxane et quand elle a vu ma tête, elle a éclaté de rire. Perso, je ne sais pas à quoi ça ressemble la figure de quelqu'un qui est en train de penser « C'est Quentin, c'est Quentin... ! Qu'est-ce que je vais lui dire ?! Oh non, il va rompre !!! » et qui la seconde d'après se contre dit : « Sauf qu'on est pas en couple donc... ». Je suis descendue en courant et ai récupéré mon portable avant qu'Arthur ne commette l'irréparable. J'avais onze appels manqués de Quentin. Et surtout, j'avais besoin d'un second pot de Nutella parce que jamais je n'assumerai de lui parler de nouveau....
Je me remets donc un trophée en tant que femme la plus lâche du monde. Roxane en mérite un aussi pour être la meilleure consolatrice de la Terre. Et n'oublions tout de même pas le pot de Nutella qui s'est si gentiment sacrifié...
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Le Journal des Quatre Indécis
Teen Fiction4 ados. 4 journaux. 1 existence commune. Chacun son point de vue sur leur petite vie tranquille : école, collège, lycée, disputes, rabibochages... Tout un train-train bien réglé soudain bouleversé par une arrivée inattendue qui fait l'effet d'une...